Plus que n'importe quel autre secteur, les écoles de jeux vidéo sont confrontées à la révolution GenAI. Entre craintes et enthousiasme, étudiants et professeurs naviguent dans un paysage en mutation, où l'intelligence artificielle devient un outil incontournable tout en suscitant des interrogations sur l'avenir de l'industrie créative.
Un choc. C'est ainsi qu'Ariana Gomes, étudiante à l'établissement Gaming Campus, décrit sa première utilisation de l'intelligence artificielle (IA) générative, technologie qui bouscule les industries créatives et à laquelle les écoles de jeux vidéo doivent s'adapter. « En tant qu'artiste, oui, j'ai énormément peur que ça nous remplace », explique à l'AFP la jeune femme de 18 ans aux cheveux gris-blond, en première année d'infographisme.
Dans une salle de classe nichée au sommet de la Grande Arche de la Défense, elle s'affaire à animer une chauve-souris, concentrée, malgré le brouhaha de ses condisciples qui, comme elle, doivent construire un jeu vidéo de A à Z en deux semaines. A l'opposé, son camarade Tristan Van Laecke est très enthousiaste vis-à-vis de l'IA générative, qui permet de produire facilement toutes sortes de contenus (textes, images, sons).
Ce développeur en herbe de 18 ans avoue avoir regardé des centaines d'heures de vidéos YouTube pour se former tout seul à l'utilisation de ChatGPT. Il envisage l'IA comme une aide précieuse pour effectuer des tâches répétitives, comme la vérification d'erreurs dans un code informatique.
Pragmatique, Clémentine Carrasqueira, 21 ans, qui dessine les contours d'un rat pixelisé pour son projet, perçoit aussi les intelligences artificielles génératives avant tout comme un outil. Elles permettent, selon l'étudiante en design graphique, de réaliser rapidement des +moodboard+ (planche d'inspiration) et d'explorer des pistes auxquelles elle ne penserait pas forcément.
Pas un « deus ex-machina »
L'inquiétude est toutefois palpable chez leur professeur, Olivier Giusiano, lunettes noires et tee-shirt de métal sur le dos. Il raconte à l'AFP être déjà arrivé dans un studio de jeu vidéo où toute la pré-production avait été faite avec des IA.
« Forcément, ça va supprimer des emplois. Là où on recrute quatre +concept artists+ (dont le rôle est de traduire en image les directives des concepteurs NDLR), dans dix ans, on va en recruter deux », assène cet expert de la modélisation 3D. « Je me pose moi-même la question d'où est-ce que je serai dans dix ans », ajoute-t-il.
Mais si l'intelligence artificielle générative révolutionne les systèmes de création, il ne s'agit pas d'un « deus ex machina » pour Laurent Courau, directeur créatif, spécialiste de l'IA et intervenant à Gaming Campus. « L'IA n'a pas d'imagination en soi. Elle répond à des demandes qu'on lui formule », détaille-t-il en usant de la métaphore de la lampe d'Aladdin. Elle reste « un outil au service du cerveau humain et de la création. »
Élèves comme professeurs sont unanimes. Pour l'oeil expert, il est facile de repérer un travail fait avec de l'intelligence artificielle. Entre les erreurs et le sentiment général de déjà-vu, la marge de progression est grande, selon eux. Reste qu'apprendre à maîtriser ces nouveaux outils est indispensable, au risque de passer « à côté d'un des moyens de production les plus efficaces et d'un des plus grands supports de création de l'époque », note Laurent Courau.
Spécialistes des « prompts »
Les formations l'ont bien compris. Gaming Campus compte intégrer davantage d'enseignement sur l'IA tandis que l'Institut de création et animation numériques (ICAN), grande école de jeux vidéo, lance un bachelor et un master d'« IA designer » à la rentrée. Ces deux cursus, qui accueilleront une trentaine d'étudiants, visent à former des spécialistes dans « l'écriture de prompt », ces requêtes en langage courant qui permettent de générer de l'image ou du texte, indique à l'AFP, Brice Roy, directeur de l'ICAN.
L'intelligence artificielle fait baisser le seuil d'accessibilité technique, reconnaît-il, ajoutant que la différence se fera désormais au niveau de la culture et de l'érudition. C'est la raison pour laquelle des « cours de culture, d'histoire de l'art et d'histoire de design » seront inclus.
« Dès qu'il s'agit de produire de manière industrielle, et non plus qualitative, des contenus, on va se retrouver avec une mise en concurrence par rapport aux IA », explique M. Roy. « En revanche, l'IA ne vient pas remplacer des compétences expertes, elle s'y hybride. » Pour lui, l'enjeu des établissements est « d'outiller les étudiants pour qu'ils soient capables de s'adapter à une industrie qui change tout le temps ».