Selon les Nations unies, plus de 280 millions de jeunes de 18 à 24 ans dans le monde souffrent d’un problème de santé mentale. Une situation renforcée par un contexte de crises anxiogène et des réseaux sociaux envahissants. Pour y échapper, certains d'entre eux se réfugient dans des activités de «vieux».
C’est eux ou c’est moi ? Ou plutôt toujours la même histoire ? Avec les années, comme la transformation numérique et l’IA, il arrive « gradually then suddenly », lentement puis de façon soudaine : le sentiment, à mon désormais grand âge, de s’être irrémédiablement éloigné de la jeunesse, doublé de la culpabilité difficile à combattre ces temps-ci de leur préparer un monde bien pourri par les guerres, les crises et le dérèglement climatique. Je dis dérèglement plutôt que réchauffement car je ne pousse pas l’autocritique jusqu’à assumer la météo de ce printemps 2024.
En février, une étude de Santé Publique France alertait que les pensées suicidaires chez les 18-24 ans ont été multipliées par deux depuis 2014, alors qu’entre 2017 et 2021, le nombre de tentatives de suicide déclaré dans cette même tranche d’âge a doublé. Le Sénat a voté en début d’année pour que la santé mentale chez les jeunes soit une cause nationale. La menace est globale. Les Nations unies estiment qu’il existe plus de 1,2 milliard de jeunes de 15 à 24 ans dans le monde aujourd'hui, et plus de 280 millions d'entre eux souffrent d’un problème de santé mentale.
Sous surveillance
Déni ou sagesse scientifique, le docteur Guillaume Bronsard, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent à l'Université de Bretagne Occidentale, déclarait en avril 2024 dans Polytechnique Insights qu’ « il n’existe pas d’explosion des troubles psychiques de façon générale ni diffuse ». Selon lui, « pendant [la pandémie], de nombreux repères ont été bousculés et des situations se sont aggravées. Cependant, (…) il s’agit davantage d’une intensification d’un sous-groupe minoritaire déjà vulnérable, que d’une augmentation absolue du nombre de personnes touchées ». Le pédopsychiatre ajoute : « Les jeunes filles à l’adolescence sont, de façon générale et depuis très longtemps, beaucoup plus sujettes aux (…) tentatives de suicide, scarifications, rapports douloureux avec le corps. C’est un phénomène connu et ancien, que la période du Covid-19 a renforcé. »
Rien de nouveau donc ? Nous pensions que cette nouvelle génération bénéficiait d’un rapprochement entre les filles et les garçons. Il semblerait au contraire que les différences entre les sexes ont la vie dure. C’est ce que révèle un sondage mené par le journaliste John Burn-Murdoch pour le Financial Times en janvier : les jeunes femmes apparaissent ainsi de plus en plus « progressistes » alors que les jeunes hommes sont de plus en plus nombreux à s’exprimer dans le camp des conservateurs.
Un phénomène se montre radicalement inédit en revanche. Ces jeunes entre 18 et 24 sont les premiers humains à avoir grandi et, en particulier, vécu leur puberté et leur adolescence avec les réseaux sociaux. Le défi que ces réseaux opposent à la santé publique est largement étudié désormais et il commence à faire consensus. Le professeur de psychologie sociale à New York Jonathan Haidt vient de publier un livre qui connaît un succès retentissant, The Anxious Generation. Son constat : la santé mentale de nos jeunes se dégrade avec leur usage grandissant, envahissant même, des smartphones et des réseaux sociaux. La thèse peut paraître rétrograde, certains critiquent son fondement méthodologique, bien sûr on peut se souvenir de propos équivalents pour la télévision mais Haidt invoque un rapprochement qui fait mouche. Le lien entre anxiété et usages numériques s’accompagne d’un autre bouleversement dans la vie des jeunes, ils ont grandi en étant surveillés « dans le monde réel » comme aucune génération avant eux. Ainsi, ils seraient surexposés en ligne et surprotégés dans toutes leurs autres activités. Pour cette raison, ils prendraient moins de risques, se fréquenteraient moins, boiraient et fumeraient moins, passeraient leur permis plus tard, feraient même moins… l’amour.
Retraite anticipée
Alors, privons-nous nos jeunes de jeunesse ? La question mérite d’être posée et d’autres éléments, moins tristes mais pas moins surprenants, l’alimentent. Retour en force de vente de vinyles et même des cassettes audio, passion pour le jazz, le crochet ou la broderie, réservations au restaurant de plus en plus tôt (on dit qu’elles débutent à 17h désormais aux États-Unis) pour se coucher avec les poules. La mode est aux « costal grandmas », « eclectic grandpas » ou au « quiet luxury », ce style dont l’inspirateur et top model est Logan Roy, le grand-père de la série Succession. Bref, nos jeunes ont la vie et les loisirs de nos vieux ! D’ailleurs une inquiétude se répand sur les réseaux sociaux parmi cette fameuse génération Z : « vieillit-elle comme le lait » (« Aging like milk »), c’est-à-dire beaucoup plus vite ?
À mon tour de tenter une hypothèse : cette génération ne vieillit pas plus vite. Elle sait qu’elle vivra bien plus longtemps que les précédentes et elle a décidé de commencer par la fin et le plus triste, la dépression et les charentaises, pour se garder le meilleur pour plus tard. Cent ans, c’est long. Être sérieux à 17 ans pour ne plus l’être à 47 et encore moins à 97 ans, c’est tout ce que je leur souhaite. D’ailleurs, les générations Z s’en donnent les moyens. À leur âge, selon un article de The Economist d’avril dernier, ils sont bien plus riches et plus représentés parmi les entrepreneurs, les dirigeants et même les femmes et les hommes politiques que leurs aînés millenials ou même baby-boomers. Alors, comme le recommande Jonathan Haidt, si nous voulons les rendre moins malheureux, faisons-leur plus confiance !