Contrairement au secteur de la tech, porté par l'IA, la démocratie n'a pas été à la fête en 2024. Dans le monde d’après, qu'adviendra-t-il des acquis sociaux, des engagements environnementaux, de la liberté d'expression ?  

Vous avez sous les yeux le dernier numéro de l’année de Stratégies. On m’a demandé de revenir sur l’année 2024. Merci du cadeau (de Noël) : rien que ce week-end, Notre-Dame, rajeunie de 700 ans, a vu Pharrell Williams danser sur son parvis, au même moment Trump et Zelensky prenaient date à l’Élysée, le bitcoin dépassait les 100 000 dollars et la Syrie chassait son tyran. Somme toute, je préfère avoir à commenter cette frénésie qu’à tenter d’expliquer comment rien de tout ceci ne semblait seulement envisageable il y a moins d’un an quand nous échangions vœux et résolutions

D’abord, une année se finit en hiver et on y voit moins le soleil, je ne vous apprends rien et j’espère que vous excuserez ma morosité. « Don’t blame it on the sunshine », chantait Michael. 2024 était sans doute la première véritable année du monde d’après et cela fait mal d’avouer que les pessimistes ont raison quand ils parlent d’avenir. Tel Houellebecq qui prophétisait en 2020 : « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde; ce sera le même, en un peu pire. » 2024, c’est une année de guerres sur terre. Et cette année où plus de la moitié de la population mondiale était appelée à voter, avant même les élections surprises dont nous avons été gratifiés en France, n’a pas été la fête joyeuse de la démocratie à l’échelle de la planète pour laquelle « nos aïeux s’étaient battus ».

Sale temps pour le wokisme

Retour de bâton ? Le 2 janvier 2024, la présidente de Harvard démissionnait à la suite d’accusations de plagiat et de débordements antisémites sur son campus. Mauvais temps pour le wokisme. À croire un des slogans repris par la campagne de Donald Trump « Go woke, go broke », les entreprises aussi sont prises à partie. Walmart, Caterpillar, Ford ou John Deere, ces grandes entreprises américaines ont été contraintes d'abandonner leur politique de Diversité, d'Égalité et d'Inclusion (DEI) et leurs programmes sociétaux et environnementaux (RSE) sous la pression d’influenceurs d'extrême droite et d’appels au boycott. 

D’ailleurs, le monde d’après connait-il les acquis sociaux et tiendra-t-il parole sur ses engagements environnementaux ? En tout cas, si l’on considère le télétravail qui semblait la panacée et le symbole d’une nouvelle organisation du travail, 2024 marque le retour au bureau sans débat. Même les géants de la Tech semblent assumer un nouveau rapport de force avec leurs si chers « talents ». Chez Amazon, coup de tonnerre, les employés sont priés de revenir au bureau cinq jours sur cinq. Au même moment Microsoft, Google et Meta investissent pour relancer des centrales nucléaires. Oui, les hippies californiens, pour beaucoup devenus libertariens, sont même « pro nuke » en 2024. 

D’ailleurs, cela restera l’une de mes interrogations tout au long de l’année : comment politique et géopolitique ont pu à ce point se dissocier de l’économie ? Comme dans La Haine, devenue comédie musicale 29 ans après sa sortie au cinéma, en économie, on semble pouvoir dire « jusqu’ici tout va bien ». CAC40, Nasdaq, SP500, cryptos, or… les cours, euphoriques, sont à l’inverse de l’actualité déprimante. On nous dit à chaque fois que le marché a anticipé les mauvaises nouvelles et les a déjà intégrées dans son appréciation pour se montrer optimiste. On aimerait pouvoir en faire autant. 

Nvidia plie le game

Et jusqu’ici, tout va très très bien pour certains. Chez nous, LVMH a accueilli les Jeux olympiques et permis la réouverture du monument le plus visité au monde qui est aussi la maison de Dieu. Le grand public a découvert Nvidia, l’expert des cartes graphiques pour jeux vidéo désormais première capitalisation boursière au monde. De quoi donner raison au « gamer » que vous regardiez avec un rien de condescendance à la table de Noël les années précédentes. Pour rappel, c’est inédit et inouï, Nvidia réalise la moitié de son chiffre d’affaires avec seulement quatre clients. L’entreprise est le fournisseur de pelles et de pioches à la révolution IA. Sa réussite est donc à la mesure de la révolution de l’intelligence artificielle, transition numérique exponentielle dont très peu d’acteurs ont les moyens. Retenez bien l’annonce des quatre fantastiques pour l’année qui vient, ils investiront 250 milliards pour développer leurs infrastructures l’année prochaine. 250 000 000 000 dollars ! 

Quelle chance de connaître cette débauche de moyens. Jamais une technologie aussi puissante n’est entrée aussi vite dans nos vies. D’après une récente enquête publiée en août 2024 par Digital Education Council, 86% des étudiants indiquent utiliser l’intelligence artificielle dans le cadre de leurs études. Mon fils passera le bac en juin prochain et la sacro-sainte épreuve de philosophie, celle dont la nation découvre pieusement les sujets dans les journaux. Son professeur a décidé de ne plus demander de devoir à la maison : ça ne sert à rien, tout est fait sur ChatGPT d’OpenAI. On s’adapte, et permettez-moi au-delà de la saison maussade, du soleil qui manque et des mauvaises nouvelles qui pleuvent, de croire que c’est pour le meilleur. 

« Brat », « demure », vigilante au « brain rot », les mots de 2024 sont ceux d’une génération à laquelle l’avenir appartient. D’ailleurs, cette année, une promesse d’Internet a été tenue et elle m’a réjoui : Mr Beast et Inoxtag ont connu aux États-Unis et en France un triomphe. Deux gamins, qui ont commencé sur leur ordinateur dans leur chambre, ont bouleversé toutes les recettes des médias et de leurs mastodontes en quelques années. 

En 2024, contre toute attente, Elon Musk a défait Taylor Swift, le premier a fait élire Donald Trump alors que la seconde n’a pas su faire gagner Kamala Harris. Le symbole vaut bien au-delà de la politique américaine et si une bataille a été perdue en 2024, pourvu que ce ne soit pas la guerre : la liberté d’expression sera, c’est ma certitude, l’alpha et l’oméga des prochaines années en matière de réglementation et de rapports de force géopolitiques et commerciaux. La liberté d’expression est un sujet d’artiste, de progrès, de liberté par essence. D’ailleurs, qui se souvient que l’IA elle-même avait connu un hiver digne de Jon Snow ? 

2025 peut commencer « En fanfare », le titre du film français de cette fin d’année dont la critique dit qu’il « navigue entre art et essai et grand public et fait un bien fou au moral »

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