À l’époque des duels Giscard-Mitterrand, les débats politiques pouvaient potentiellement influencer l’issue d’un scrutin. Aujourd’hui, ces affrontements se sont banalisés et visent surtout à mobiliser un électorat.
Coïncidence de programmation, quelques jours seulement ont séparé la rediffusion d’une « Partie de campagne » de Raymond Depardon consacrée à l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, et le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella dans le cadre des élections européennes. Au travers de ces deux moments, malgré les différences d’enjeu, de contexte, et surtout d’audiences, c’est l’occasion de revenir sur cette figure-clé de notre vie politique.
Le débat de 1974, véritable mythe de notre histoire politique, fait référence. Premier exercice de ce type à la télévision, il est le paroxysme du scrutin le plus serré de la Cinquième République, au final 425 000 voix seulement séparèrent les finalistes. Il est le seul dont certains observateurs, et encore pas tous, affirment qu’il a, dans la dernière ligne droite, fait l’élection. Au-delà, il a fait d’une seule phrase, « Vous n’avez pas le monopole du cœur », un moment d’histoire de la communication politique.
Même s’il a été de bonne tenue, le Attal-Bardella, lui, ne restera sans doute pas dans les mémoires. D’abord parce qu’on imagine mal que l’évènement médiatique pourra infléchir les grandes tendances du scrutin, même si avec 35% d’indécis les surprises restent toujours possibles. Ensuite parce que la multiplication des punchlines, savamment préparées, parfois artificiellement amenées ne rendra pas forcément grâce aux spin doctors. Enfin parce que la polarisation de notre vie politique est telle, que la joute oratoire à bien du mal à faire bouger les lignes chez les convaincus qui sont souvent les téléspectateurs de ce type de rendez-vous.
La confrontation de 1974 voyait s’afficher deux visages déjà anciens de la vie politique. Elle ne connut qu’une revanche en 1981, conférant à l’affrontement une forme de rareté donc de solennité. De leur côté, Attal 35 ans, Bardella 28 ans, ont déjà débattu six fois, preuve de la banalisation du duel politique dans un paysage audiovisuel éclaté, de l’accélération des carrières politiques et aussi de l’aspiration au renouvellement.
Pour Giscard comme pour Mitterrand, se retrouver dans le face à face final sonnait comme une consécration pour deux personnalités qui avaient réussi à s’imposer dans leur camp. La semaine dernière, il s’agissait d’un duel validant une qualification. Un duel d’actuels héritiers dont on se disait qu’il se transformerait forcément dans les années futures en un duel d’affranchis.
C’est ici que s’inscrit bien sur une différence fondamentale selon qu’il s’agisse d’un débat de l’entre-deux-tours présidentiel ou d’un simple débat pour les européennes. Dans le premier cas, vous cherchez à convaincre les derniers indécis. Dans l’autre, votre objectif majeur est de mobiliser votre électorat notamment en centrant votre discours sur les thèmes clés qui agissent pour eux comme des déterminants du vote. C’est pour le Premier ministre que le défi était de taille. Avant le débat de France 2, 8 électeurs lepénistes sur 10 de 2022 ayant l’intention d’aller voter indiquaient qu’ils remettraient un bulletin RN dans l’urne. Le chiffre n’était que de 54% pour les macronistes. Que ce chiffre progresse, même légèrement, et Attal aura réussi son pari. Si ce n’est pas le cas, on constatera qu’aucune des deux têtes de l’exécutif ne sera parvenue à dramatiser l’enjeu et à réveiller son camp.
Le débat répond aussi traditionnellement à un autre enjeu non négligeable : donner ou redonner du souffle à une dynamique de campagne, rebooster militants et élus. D’où les proclamations triomphalistes issues des deux camps sur les réseaux sociaux sur le thème du « on a gagné ».
Quant à désigner un vainqueur, l’exercice s’est révélé une nouvelle fois périlleux. Alors que les observateurs valident l’expertise et la compétence, l’électeur porte un regard différent : « quel propos, quelle mesure entendue dans le débat va répondre à mes problèmes demain ? ». À ce titre, si le duel reste une figure mythique, un passage initiatique dans notre vie politique, il ne réussit pas à réconcilier avec la parole publique. C’est aussi ce qui explique son impact limité sur l’issue des scrutins.