Le luxe est devenu l’un des objets de conversation les plus animés sur les réseaux sociaux. Dans un monde de « memes », quels codes les marques de luxe doivent-elles adopter sur le numérique ?
Je sais déjà à quoi vous vous attendez en lisant une tribune sur le luxe : savoir-faire, héritage, patrimoine, excellence. Mais on n’est pas là pour ça. Grand dieu non. Depuis quelques mois, il se passe quelque chose d’enthousiasmant dans le monde du luxe, quelque chose qui le rend… intéressant, vivant, drôle même ! Le luxe est devenu l’un des objets de conversation les plus vibrants sur les réseaux sociaux. À travers des comptes de memes, d’analyse, de critique, il n’a jamais été aussi présent sur nos feeds TikTok, Instagram et Twitter. Chacun y va désormais de son commentaire, de sa petite blagounette, de sa réinterprétation, offrant ainsi aux marques une visibilité décuplée et inédite autour d’une grande « Conversation en ligne » (comprenez joyeux bordel organique). Une « Conversation » ouverte à tous, un chaos permanent mais enthousiasmant dans lequel les marques se doivent aujourd’hui de plonger la tête la première pour exister et briller.
Toutes n’avancent pas au même rythme : certaines accusent un temps de retard, voire jouent les réfractaires (Bottega Veneta a complètement tiré un trait sur les réseaux sociaux, The Row interdisait les smartphones à son défilé). Mais celles qui ont capté le truc savent que la viralité est devenue la nouvelle force motrice du monde du luxe : elles se sont converties à la culture internet et puisent allègrement dans ses registres, son jargon, ses formats avec comme meilleur Cheval de Troie, le meme, instrument de viralité par excellence.
Si vous me lisez encore jusque là, c’est que vous vous demandez dans quelle catégorie se classe votre marque ou votre dernière campagne. Dans le doute - et parce qu’on n’est jamais avares de bons conseils, voici 5 trucs pour faire tomber vos vieux automatismes et enfin embrasser le chaos.
« Plus absurde tu meurs »
Les marques qui font du bruit en 2024 sont tout bêtement… les plus drôles et souvent les plus absurdes. Sous les coups de boutoir des comptes parodiques (@patheticfashion sur Instagram ; @couturfu et @dietprada), les marques ont fini par intégrer elles-mêmes cette dimension humoristique. Fini le luxe qui se prend au sérieux : l’autodérision et la désinvolture créent aujourd’hui les prises de parole les plus virales. Et parce que la viralité impose ses règles, toutes ces marques vont chercher à exploiter un gimmick « golri » sur leur catwalk. Comme Avavaf ou "fake Moss chez Marine Serre", le dernier meme à la mode (LA MANSO), des mises en scènes absurdissimes (Marc Jacobs ou Alexander Wang) parfois même dignes du Saturday Night Live (LOEWE), toutes conçues pour être partagées en masse (plus que pour vendre un sac, un bijou ou une tenue). Les postures statutaires, classieuses semblent avoir pris un sacré coup de vieux maintenant que le luxe s’autorise (enfin) à se marrer.
L'exemple de Loewe :
« Hot Brands don’t gatekeep »
Finito ces gardiens du temple qui étaient les seul.es à décider de ce qui pouvait ou non être digne d’entrer sous l’appellation « luxury ». Aujourd’hui, certaines marques osent faire intervenir de nouvelles forces créatives - souvent extérieures au monde du luxe : des collectifs (MSCHF), des créatifs divers (Shadrinksy, Pathetic Fashion x Gucci) ou même des twittos anonymes nourrissent cette nouvelle créativité. Toutes cultivent une approche beaucoup plus ouverte sur le monde, à l’écoute de ce qui fait vibrer la culture au sens large, très large du terme : les emprunts à la pop-culture sont désormais la norme (Spiderman x KidSuper) et rendent collabs (Loewe Polly Pocket) après collabs (Gentle Monster x Overwatch), la définition de « luxe » toujours plus malléable.
« Déguideline-isez moi tout ça ! » (pas facile à dire mais vous allez comprendre)
Le cycle de vie d’une trend ou d’un meme est bien trop court pour qu’une marque ait le temps de se mettre en ordre de bataille, éditer les bonnes guidelines pour surfer sur la hype : l’heure est à la spontanéité et l’agilité pour s’adapter aux codes de son audience et de son medium. Certaines marques ont su faire sauter la rigidité de leur brand book pour trouver une nouvelle liberté créative et s’en donner à cœur joie. Loewe use de mises en scène des plus « meme-esques » pour promouvoir son nouveau sac (Meuf qui roule, à voir ci-dessous), SSENSE travaille une communication volontairement neutre mais liquide, capable de sonner juste via n’importe quel médium, tandis que Pharrell poste des « photos dumps » sur Instagram sans trop se prendre la tête (je comprends Pharrell, moi non plus j’aime pas trier).
« Jamais à court d’idée »
La grande conversation du luxe ne s’arrête jamais. Les choses vont vite et ces temps-ci on dirait même que certains directeurs créatifs durent moins longtemps que des trends Tiktok. Car rien ne doit rester statique trop longtemps : les classiques sont faits pour être réinventés et vivre 1000 vies. C’est donc à vous — marques, de continuer à alimenter la conversation et à maintenir en vie vos hero products avant qu’ils ne commencent à sentir le renfermé.
La griffe Coperni par exemple s’amuse à redesigner encore et encore son Swipe Bag : sous forme de baladeur CD, puis en verre, en aérogel (un matériau créé par la NASA, composé à 90 % d’air), puis en pierre de météorite. Un peu comme le template d’un meme répliqué à l’infini, comme un running gag qu’on s’amuse à faire durer sans jamais se lasser.
« Roses are red, Burberry is blue… »
Si Instagram et Tiktok deviennent les champs de bataille numero uno du secteur du luxe, tout est bon pour capter l’attention de son audience. Et pour ça, ne jamais (JAMAIS !) sous-estimer les signaux primaires qui marquent de leur empreinte nos cerveaux reptiliens. En commençant par la couleur : Hermès c’est orange, Bottega Veneta c’est vert, Burberry c’est bleu. Ok. Mais quand je parle de couleur, je parle d’OVERDOSE de couleurs : il faut que ce soit criard, exubérant pour assumer et revendiquer une teinte propriétaire. Un kiosque orange ? Hermès peut le faire. La muraille de Chine en vert pour Bottega Veneta ? Pourquoi pas ! Harrod’s en bleu Burberry ? Sky is the limit mate. On est là pour choisir une couleur, en faire des tonnes, l’afficher partout tout le temps dans des proportions qui confinent à l’obsession (rien que ça).
La conclusion ?
La différence entre UGC et prise de parole de marque va disparaître. Dans cette grande « Conversation », tout se mélange, se nourrit, tous vont finir par parler le même langage, utiliser le même registre. Je ne dis pas que c’est facile, mais la marche est lancée et implique de profondes remises en question. Certains y verront le diktat des algorithmes et une course aveugle à la viralité. D’autres y verront une occasion de se marrer et d’enfin embrasser une forme décomplexée, ouverte et vivante de communication.