SUPPLÉMENT EVENT

Si le recyclage des matériaux issus de l’activité événementielle est longtemps apparu comme la panacée, certains plaident aujourd’hui pour leur réemploi. Mais la route vers le zéro déchet est encore longue.

Des tasseaux de sapin, du coton gratté et des dalles de faux plafond récupérés sur un salon pour en faire des panneaux acoustiques, des podiums d’exposition transformés en mobilier, le tifo géant des 10 km de Paris réutilisé comme surface d’ombrage pour des jardins partagés à Gennevilliers, une bâche d’événementiel upcyclée en sacs à dos… Voilà quelques-unes des réalisations à mettre à l’actif de Muto, une société créée il y a deux ans pour faciliter le réemploi dans le secteur de l’événementiel en mettant gratuitement à disposition d’acteurs associatifs des matériaux récupérés sur des salons ou des festivals. Son dynamisme, avec un chiffre d’affaires supérieur au million d’euros cette année, contre 100 000 euros en 2022 lors de sa création, traduit la prise de conscience par certains organisateurs d’événements, qui paient cette prestation, que le recyclage n’est pas la solution miracle au problème des déchets produits lors de leur démontage.

Dans une tribune publiée en juin dans Stratégies et intitulée « Le recyclage dans l’événementiel, une fausse bonne idée », Vincent Raimbault, l’un des cofondateurs de Muto, jette un pavé dans la mare, dénonçant ces aberrations qui consistent à détruire un matériau neuf alors qu’il est possible de rallonger sa durée de vie ou à recycler à l’étranger des kilomètres de moquette pour un bilan carbone accablant. « Aujourd’hui, globalement, tout est jeté, en dehors des structures standard qui sont conservées. Mais sinon, il n’y a pas le temps, le savoir-faire, la place ou la volonté pour réemployer les matériaux. La règle, c’est l’usage unique », pointe-t-il.

Au sien du groupe Hopscotch, qui organise, via sa filiale Hopscotch Congrès, le Mondial de l’auto, avec 500 000 visiteurs attendus en octobre Porte de Versailles, on a pris conscience des limites du recyclage. « Ce n’est pas un geste responsable, il ne faut le faire que si on n’a pas trouvé de solution alternative, comme louer ou renoncer à tel matériau », plaide Isabelle Luoni, sa directrice de la performance globale, préférant parler de « ressources » ou de « gisement » plutôt que de « déchets ». « En tant qu’organisateur, nous sommes à la baguette et nous devons avoir une démarche proactive », revendique Olivier Cassedanne, directeur général d’Hopscotch Congrès, qui vient d’obtenir la certification ISO 20121 de développement durable. Afin d’impliquer les exposants du Mondial de l’auto, Hopscotch fait appel à une société, Re’Up, pour conduire des entretiens avec chacun d’entre eux et repérer les matériaux qui pourront être réemployés après le démontage. « L’enjeu, c’est d’anticiper en cartographiant l’ensemble des ressources qu’on pourra donner à un réseau de bénéficiaires à l’issue du salon », note Isabelle Luoni.

Créée elle aussi il y a deux ans, Re’Up travaille aujourd’hui pour les salons organisés par RX à Paris, pour Comexposium ou encore pour Maison&Objet. « La prise de conscience qu’on ne peut plus produire comme avant est favorisée par le coût du traitement des déchets de plus en plus élevé », remarque Anaïs Kagny, sa cofondatrice. Re’Up salarie six personnes, sans compter ses « recycling rangers », des équipes de terrain freelance, souvent des étudiants, qui accompagnent les exposants pendant les manifestations pour les aider au tri. L’an dernier, lors du Salon international de l’aéronautique et de l’espace, 76 tonnes ont pu être réemployées. Re’Up a monté un atelier d’écoconception lui permettant de répondre à des commandes et de fabriquer des meubles et des stands.

Un label dédié

Tendre vers le zéro déchet, c’est aussi l’option prise par Green Événements, qui accompagne les professionnels dans leur démarche durable. Ce cabinet-conseil propose un label, « Lead », qui permet aux organisateurs de manifestations de valider leur trajectoire de réduction des déchets. L’Ademe, qui organisait en avril au Havre son « Grand Défi écologique », un salon sur la transition écologique, a été distinguée de ce « label événement à ambition durable ». À 95 %, la scénographie de la manifestation était issue du réemploi, avec des éléments récupérés de la Fashion Week, de la Coupe du monde de rugby ou de décors de cinéma.

« Il y a quelques années, même si les organisateurs étaient désireux de s’engager dans cette démarche, ce n’était pas toujours possible. Aujourd’hui, il existe un écosystème de sociétés en capacité de le faire », note Béatrice Eastham, la fondatrice de Green Événements. Pour les professionnels, l’enjeu est énorme. Une manifestation comme le V and B Fest’, qui a accueilli en août 150 000 personnes sur trois jours à Château-Gontier, en Mayenne, avait produit, lors de son édition 2023, 72 tonnes de déchets. Location de contenants réutilisables, recyclage des bâches pour en faire des chiliennes ou des sacs bananes vendus aux festivaliers, ce festival de musique multiplie les initiatives en faveur de la circularité. « Il y a aussi un enjeu économique, car la diminution des déchets réduit, au bout, la facture », souligne Romain Pichon, son responsable RSE.

« Quantifier pour réduire. »

La filière de l’événementiel s’est emparée de ces questions via la signature, en 2022, d’un ECV, un Engagement pour la croissance verte, avec le gouvernement. Il doit déboucher d’ici à 2025 sur la publication d’une étude concernant la gestion des déchets dans le secteur de l’événementiel. Pauline Teyssedre, directrice de la stratégie de l’agence de création de stands Galis, en charge de ces questions à l’Unimev, parle de la nécessité de « quantifier pour réduire » de manière à pouvoir, ensuite, « bénéficier d’aides financières pour développer des projets d’économie circulaire ».

Chez Muto, Vincent Raimbault souhaite un engagement accru des pouvoirs publics et appelle de ses vœux l’établissement, dans le secteur de l’événementiel, d’une REP, une Responsabilité élargie du producteur, qui permettrait de prélever une taxe sur tout producteur de déchets. « Nous pourrions jouer le rôle d’éco-organisme et, en percevant cette taxe, mettre en place des solutions de réemploi sans avoir besoin de demander de l’argent aux organisateurs. Ce serait un vrai changement en faveur de la généralisation de ces pratiques, car aujourd’hui, il n’y en a pas plus d’un sur vingt prêt à payer », plaide-t-il.

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