Le packaging, l’identité et l’architecture commerciale ont longtemps négligé le volet social de la RSE. Les agences doivent bousculer leurs habitudes pour l’intégrer dans les briefs clients. Un article également disponible en version audio.
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Les métiers du design ont longtemps traité le sujet de l’accessibilité de façon marginale. La loi de 2005 sur le handicap impose une adaptation des lieux accueillant du public et des sites internet, mais les conceptions de packaging, d’identité de marque ou de commerces étaient traditionnellement pensées dans une logique de consommation de masse. L’irruption dans le débat public des questions de genre, de handicap et de vieillissement de la population oblige les designers à penser en termes d’accessibilité et d’inclusivité. Comme le rappelle Luc Speisser, chief innovation officer de Landor & Fitch, « on ne peut pas continuer d’exclure le milliard de personnes souffrant d’une forme de handicap dans le monde. »
L’agence a lancé un programme mondial incitant tous ses collaborateurs à consacrer 10 % de leur temps de travail à un projet d’innovation dans le développement durable. Parmi ces projets, Landor & Fitch Londres a proposé {access}ories, une plateforme pour adapter des produits de la vie quotidienne comme les brosses à dents aux personnes ayant des problèmes de dextérité. L’agence a organisé des groupes de parole avec des malades souffrant d’arthrite et a développé une solution d’accessoires ajustables sur toutes les marques de brosses à dents afin de faciliter la prise en main. Un site internet permet de trouver les formes d’accessoires correspondant à son handicap et de les éditer avec une imprimante 3D. « Le but n’est pas d’avoir des designers en situation de handicap dans toutes les agences pour développer des produits adaptés, mais de travailler en co-création avec les personnes concernées », souligne Luc Speisser.
Un laboratoire de design inclusif sera déployé en plein Paris en 2024 avec les Jeux olympiques et paralympiques. Non seulement l’événement accueillera des visiteurs du monde entier avec leurs propres codes culturels, mais il devra également être lisible par tous quel que soit l’âge, le handicap ou le genre. L’agence W & Cie, en charge du territoire visuel de Paris 2024, a fait un travail titanesque pour justement inclure toutes ces contraintes dans la charte graphique. « Nous avons travaillé avec le cabinet spécialisé en signalétique ENT ID pour définir la taille des typographies et le contraste des couleurs, témoigne Jean-Jacques Charrais, directeur de création chez W&Cie en charge du dossier JO. Il faut 80 % de contraste au minimum entre les teintes pour qu’une signalétique soit visible. Nous avons aussi été attentifs à une représentation non genrée des sports et à traiter sous la même forme les Jeux olympiques et paralympiques. » Symbole de cette inclusivité, les Phryges, les mascottes des jeux en forme de bonnet phrygien, dont une des déclinaisons porte une prothèse de jambe.
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Les designers sont en revanche partagés sur l’utilisation de l’écriture inclusive, marqueur d’égalité hommes-femmes, qui s’avère peu lisible pour les personnes dyslexiques. « On préfère lutter contre les stéréotypes par le choix des mots et des représentations, confie Valentine Proust, directrice de création à l’agence Pixelis. Par exemple, pour la marque de protections périodiques écoresponsable Jho, nous avons créé une identité joyeuse, en rupture avec les tabous sur les règles, ce qui l’a aidée à être référencée en grande distribution. Nous avons aussi collaboré avec l’association The Wonders pour développer une Fresque de l’équité que l’on propose à nos clients pour les sensibiliser aux stéréotypes de genre. »
Difficile désormais de parler de responsabilité sans relier l’environnement avec le social, même si les objectifs peuvent parfois paraître contradictoires. « D’un côté l’écoconception nous pousse à un certain minimalisme comme la réduction du taux d’encrage ; de l’autre, l’accessibilité nous emmène vers le maximalisme comme l’utilisation de corps plus élevés et de contrastes de couleurs. Il faut arriver à réunir la planète et les hommes », affirme Jérôme Lhermenier, directeur général de FutureBrand Paris. Quelques initiatives de packagings en braille existent à Auchan, Yves Rocher, Kellogg’s mais la notion d’accessibilité est encore trop peu présente dans les briefs. « Les tests consommateurs ont l’habitude de mesurer des critères de désirabilité et d’attractivité, pas les niveaux de praticité ou d’inclusivité. Or le design, ce ne sont pas seulement de beaux objets qui font vendre, ils doivent aussi devenir aidants », assure Anne Henry, directrice du planning stratégique de CBA.
Loin d’une logique de standardisation, les enseignes de grande distribution ont mis en place des heures calmes, avec des lumières et des sons atténués pour les personnes neuro-sensibles, ou des caisses plus lentes pour les personnes âgées qui souhaitent prendre le temps de discuter. Au-delà du handicap, il s’agit de prendre en compte le bien-être au travail, lorsque l’on réfléchit à l’agencement des bureaux ou des commerces, pour éviter les mauvaises postures des employés. L’agence Market Value a travaillé avec des ergonomes pour mettre au point le nouveau concept de l’enseigne La Mie Câline, en minimisant le nombre de pas et en installant des meubles à la bonne hauteur. Le Mobilier national et le ministère des Solidarités ont lancé un appel à projets pour de jeunes designers afin d’améliorer la vie quotidienne dans les Ehpad, en travaillant en particulier sur la distribution des médicaments. Le lauréat, qui sera révélé en novembre, devra intégrer les contraintes des résidents, du personnel et des familles. « Cet appel à projet s’inscrit dans la volonté affichée du Mobilier national de renouer avec une de ses missions fondamentales qu’est le design social », affirme l’ancien Garde-Meuble royal.
Enfin, l’inclusivité, ce peut être concevoir des produits avec et pour les personnes en situation de handicap, à l’instar du projet Fiers, créé pour soutenir l’emploi dans les Esat [Établissement et service d'aide par le travail]. Cette initiative propose des produits d’épicerie vendus en grande surface en direct des ateliers. Team Créatif a créé l’identité tout en jaune solaire et logo souriant pour afficher la fierté de valoriser l’autonomie des travailleurs handicapés.
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