Matériaux recyclés, packagings allégés, réflexion sur les nouveaux usages : les agences de design montent en compétence sur la transition écologique. Mais des freins subsistent encore. Un article également disponible en version audio.
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L’éco-conception, le fait de penser très en amont la réduction de l’impact environnemental des projets, s’impose dans les agences de design. « Il n’y a pas un dossier sur un nouveau concept qui ne le mentionne », assure Philippe de Mareilhac, président de l’agence d’architecture Market Value. « Nous faisons systématiquement des propositions aux clients même si ce n’est pas dans le cahier des charges », renchérit Thibault Saguez, directeur général adjoint de Saguez & Partners. L’ADC, l’Association Design Conseil, a interrogé ses membres sur leur démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises). « 100 % des agences se sentent concernées, les trois quarts ont intégré ces sujets dans leur stratégie et 9 sur 10 souhaitent aller plus loin », souligne Delphine Dauge, présidente de l’association.
Deux agences ont déjà obtenu la certification B Corp, qui valide les engagements sociaux et environnementaux, Pixelis et Team Créatif, et une autre a lancé la démarche, FutureBrand Paris, déjà labellisée Lucie 26000. Pour le domaine Château Galoupet, cru classé de Provence du groupe LVMH, cette dernière a recommandé une bouteille avec 70 % de verre recyclé, qui lui donne une teinte marron, audacieuse pour un rosé haut de gamme. Mais le choix est cohérent avec les engagements du vignoble pour la biodiversité.
Dans les spiritueux, Lonsdale a créé un coffret de fin d’année pour Rémy Martin en mono matériau papier et carton certifié FSC (forêts gérées de façon durable), sans métal ni ruban. « Résultat : 2 % d’émissions carbone en moins, réduction de 50 % de l’impact des matières premières, 10 % d’économie en consommation d’eau, pour un coût de fabrication qui ne dépasse pas celui du coffret précédent », précise Marie Reynaud, directrice du développement de l’agence. « Nous sommes une trop petite structure pour justifier une certification mais nous travaillons avec des clients engagés dans une meilleure alimentation comme Happyvore ou Funky Veggie, témoigne Nicolas Chomette, fondateur de l’agence D’Artagnan. Pour ce dernier, nous avons utilisé du plastique sans couche d’encre blanche, ce qui rend le packaging moins opaque sans perte d’impact en linéaires. »
Pourtant, les résistances au changement sont encore bien présentes. « Nos clients sont sensibles à l'approche mais ont du mal à franchir réellement le pas, en raison des coûts des matériaux biosourcés et parce que ceux-ci ne sont pas encore disponibles à grande échelle », reconnaît Marie Reynaud chez Lonsdale. « Je dirais que les sujets d’éco-responsabilité sont présents dans au moins 60 % de nos briefs mais seulement dans 20 % des réponses car les filières ne sont pas encore développées. Les institutions créent aussi des blocages en imposant la fin du plastique sans alternatives disponibles dans un contexte de tension sur le carton », souligne Anne Henry, directrice du planning stratégique de CBA.
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Sylvain Boyer connaît bien ces contradictions. En 2018, quand le designer a commencé à communiquer sur sa méthode Ecobranding, l’éco-conception était très peu prise en compte dans le design. À la tête de l’agence Royalties, il a défini de façon pragmatique les principes de la réduction du taux d’encrage, du choix de typographies plus sobres, du dark mode (le fond noir en digital moins gourmand en énergie), dont la traduction emblématique est le logo des Jeux olympiques de Paris 2024. Aujourd’hui, la plupart des agences de design se réfèrent à l’écobranding, même si les habitudes ont la vie dure.
« Orange nous a confié une mission de réduction de son impact environnemental. Nous avons recommandé d’imprimer son logo sur fond blanc plutôt que sur fond noir, plus consommateur d’encre, mais la marque avait peur de perdre en reconnaissance. Elle a effectivement perdu des points dans les tests, qu’elle a récupérés avec le temps », témoigne Sylvain Boyer.
En termes d’identité, l’organisme Citeo, dédié au tri des emballages, est un exemple emblématique de logo détouré, sobre en encre, dans la logique de son activité. Mais d’autres marques craignent de perdre en impact visuel ce qu’elles gagnent en empreinte environnementale. « Les signes contourés utilisent naturellement moins d’encre mais génèrent aussi une moindre prégnance rétinienne. Attention de ne pas nuire à la marque avec des signes trop fragiles », souligne Mathieu Sakkas, directeur général de Dragon Rouge France.
Difficile pour des designers garants des identités de marque de défendre une moindre visibilité. Sans parler des freins venus des consommateurs eux-mêmes, qui peuvent résister à la suppression d’un opercule jetable sur une barquette ou à l’arrivée dans les rayons de bouteilles de lait en plastique recyclé de couleur grise. « Quand on a présenté le dark mode, on nous disait que le noir était la couleur du deuil. Il a fallu démontrer que c’était également un code de luxe qui avait de l’impact, rappelle Sylvain Boyer pour Ecobranding. Une marque n’est pas qu’un logo, c’est aussi une typographie et d’autres critères subjectifs qui s’installent dans le temps. L’identité des JO a été qualifiée de logo de salon de coiffure alors qu’elle se veut le symbole des premiers jeux paritaires de l’histoire. »
Attention aux fausses bonnes idées comme le fait de repeindre en vert son identité pour afficher son engagement pour la nature, alors que le pigment vert, composé de plusieurs couleurs primaires, est l'un des plus énergivores qui soit ! C’est d'ailleurs parce que les teintures vertes étaient toxiques qu’elles étaient traditionnellement interdites au théâtre. Chez Danone, Badoit a envoyé un signal fort en annonçant l’arrêt de ses bouteilles vertes et rouges, afin de faciliter le recyclage du PET en nouveaux contenants destinés à l’alimentaire. Jusqu’à présent, le plastique coloré était difficilement recyclé et pour des usages hors alimentaire.
La transition environnementale demande un engagement au plus haut niveau des entreprises, mais c'est aussi ce qui favorise la montée en compétence des agences de design. « Le design responsable passe par le changement des usages, affirme Anne Henry, au planning stratégique de CBA. Utiliser des matériaux et des couleurs plus sobres résout une partie du problème mais le vrai levier est dans le développement de la consigne, du vrac, du réemploi. Le packaging est un gros pourvoyeur de déchets et la solution ne viendra pas d’emballage en kraft ou en cellulose qui épuisent les ressources naturelles. »
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Dans le retail, la conception de lieux de commerce ou de bureaux, la logique est désormais de transformer l’existant plutôt que tout détruire et recommencer. « Plus que l'utilisation de matériaux éco-responsables, c’est le fait de prolonger la durée de vie des concepts qui a vraiment de l’impact, assure Sonja König, directrice de création chez W & Cie. Parfois 30 % de changement seulement suffit à transformer la perception d’un lieu. Les solutions se trouvent en co-construction avec nos clients. Pour la fusion entre Société Générale et Crédit du Nord, nous avons identifié que la meilleure façon de réduire l’impact carbone des agences bancaires était d’éteindre les enseignes lumineuses, pas de les convertir en led. »
Les changements de modèle économique sont visibles dans la mise en place d’espaces dédiés au reconditionné, appelé « seconde vie » chez Fnac et Darty (réalisation de Market Value), ou dans la réduction du nombre de collections dans le textile. « Jott est passé à deux collections par an, ce qui allège la logistique, qui devient éco-conçue elle aussi », souligne Gaël Audier, directeur de création associé de Pixelis, qui a travaillé sur les nouveaux magasins de la marque de doudounes. « Nous faisons du store staging, du réemploi de mobilier existant lors de refontes de magasins, abonde Philippe de Mareilhac, chez Market Value. Il est possible de mettre en place une nouvelle image pour un investissement divisé de 3 à 10 selon les points de vente. » Contrairement aux idées reçues, l’éco-conception ne coûte pas plus cher car le réemploi permet de compenser la hausse du coût des matières premières et donc de faire des économies.
Une activité soutenue
Habituées à traverser les crises avec agilité, les agences de design interrogées témoignent d’une excellente activité en 2022, avec souvent des taux de croissance à deux chiffres. Le covid a mis à l’arrêt les projets retail, qui ont repris depuis, mais n’a pas affecté les marques de grande consommation, qui subissent désormais l’inflation. Composé en majorité de petites structures, le marché absorbe ces fluctuations en recourant aux freelances. Pour les plus grosses agences, c’est l’occasion d’aller chercher de nouveaux clients et de développer l’activité de conseil. « Nous avons eu davantage de projets en stratégie corporate en 2022 : Panzani, Tic Tac, Lipton… », affirme Benoît de Lavarene, directeur général du groupe Team Créatif. « Nous travaillons avec beaucoup d’ETI (entreprises de taille intermédiaire), ces champions cachés de l’industrie qui ont besoin de travailler leur marque pour recruter et conquérir de nouveaux marchés. Si dans le commerce l’habillement souffre, l’alimentaire et l’hôtellerie sont dynamiques », souligne Thibault Saguez, directeur général adjoint Saguez & Partners.