Alors que la loi climat et résilience a instauré une plateforme de transparence des démarches avec la création des contrats d’engagement pour le climat, l’Arcom a rappelé l’impératif de prise en compte des enjeux environnementaux dans les produits et services promus dans les communications commerciales… La publicité peut-elle vraiment être au service d’un modèle de société plus durable ? Gildas Bonnel, fondateur de l’agence Sidièse, a mené l’enquête.
Le secteur de la communication s’est emparé (enfin !) du chantier de sa contribution à la transition écologique. Éco-conception, calcul carbone, chasse aux allégations environnementales et promotion de nouveaux rôles modèles dans les représentations. De plus en plus d’annonceurs, d’agences, de médias et de régies ont démontré leur volonté d’embrasser ces enjeux de responsabilité. Avouons-le, cela a pris du temps et il reste encore beaucoup à faire pour partager nos référentiels de mesure, nos indicateurs et surtout poursuivre l’énorme effort de formation des professionnels qui est essentielle dans la mise en œuvre des nouvelles pratiques attendues. La loi climat et résilience a instauré une plateforme de transparence des démarches avec la création des contrats d’engagement pour le climat qui permettent aux acteurs du secteur de faire connaître leurs initiatives et leurs feuilles de routes. Si les premiers contrats déposés témoignent d’une avancée significative sur les engagements pris, l’Arcom, dans son premier rapport sur les contrats climats (janvier 2023) a regretté une faible proportion (18%) d’entreprises assujetties au dispositif mais également que la plupart des engagements soient « trop peu ambitieux face à l’impératif de prise en compte des enjeux environnementaux dans les produits et services promus dans les communications commerciales ». Ici, il nous faut lire en creux : la question de la responsabilité de la publicité dans les produits et services qu’elle promeut.
L’éléphant est dans la pièce. Depuis le Grenelle de l’environnement, les associations environnementales pointent cette responsabilité collective à laquelle nous allons devoir répondre. La communication, la publicité peuvent-elle être au service d’une consommation plus « éthique », plus « consciente » au service d’un modèle de société plus durable? N’ayant pas la réponse, j’ai eu envie de faire réagir des personnalités engagées, chacune à leur place dans ce débat.
Philippe Moati, cofondateur de l’ObSoCo - Quel mouvement en cours dans la consommation des Français ?
« Conviés à la sobriété, les Français sont désormais nombreux à se montrer soucieux des impacts de leurs modes de consommation. Mais n'y a-t-il pas un paradoxe fondamental entre l’appel à la responsabilité dans la consommation et l’injonction permanente à consommer que véhicule une publicité omniprésente et de plus en plus ciblée ? La deuxième vague de l’Observatoire de la consommation responsable L’ObSoCo/Citéo met en évidence une attitude des Français à l’égard de la publicité pour le moins réservée. 83% estiment que la publicité est trop présente ; 76% qu’elle suscite de façon excessive l’envie de consommer. S’ils ne sont que 41% à se prononcer pour l’interdiction pure et simple de toute forme de publicité, 71% sont favorables à une limitation du budget publicitaire des marques et deux sur trois à l’interdiction de la publicité pour les produits néfastes à l’environnement. Mais ne se trompent-ils pas de cible, en confondant le message et son média? Prendre le problème à la racine consiste à remettre en cause les business models des annonceurs qui continuent de reposer sur le “toujours plus”. La publicité peut accompagner la promotion de nouvelles propositions de valeur. D’ailleurs, 57% des Français interrogés considèrent qu’elle peut être utile pour promouvoir des modes de vie et de consommation plus responsables. »
Sébastien Bohler, rédacteur en chef de la revue Cerveau & Psycho - La pub peut-elle valoriser une consommation en conscience ?
«La publicité crée du désir. Notre planète est aujourd’hui menacée parce que nos désirs sont orientés vers la consommation de biens énergivores, à fort impact carbone. Comment changer cela ? L’être humain possède un cerveau composé d’une part intelligente – le cortex – et d’une part désirante, le striatum. À la base, ce striatum est programmé pour désirer des choses très simples : de la nourriture grasse et sucrée, du sexe, du statut social et du prestige, de l’information à portée de main et peu d’efforts. Dès qu’il obtient cela, il libère la dopamine, cette molécule du plaisir. Pendant des décennies, la publicité a utilisé ces désirs préprogrammés pour faire fonctionner le système économique. On vend de la nourriture riche et carnée, on vante l’achat de biens comme les téléphones, les automobiles ou le textile parce que cela augmente le statut social de celui qui les possède. Mais ce système se heurte aux limites de notre planète. Aujourd’hui, il faut créer des désirs nouveaux, libérateurs de dopamine, et non destructeurs. La publicité en a le pouvoir à condition de mettre en avant ceux qui obtiennent du statut social par des comportements vertueux. Le cerveau des autres, désirant acquérir ce même statut, se mettra à adopter les mêmes comportements. C’est le premier pas qui coûte. »
Séverine Millet, fondatrice du cabinet Nature Humaine et Guillaume Muller, directeur de l’innovation chez Sidièse - Comment la communication peut-elle accompagner un nouveau rapport à la consommation ?
« Aujourd’hui, attirer les “consommateurs éthiques” vers des produits et services éthiques ne suffit plus. Les limites planétaires demandent davantage. Il faut embarquer les consommateurs hésitants. Et même les guider vers d’autres modes de vie, soutenables globalement. Or consommer responsable ce n’est pas uniquement changer de marque, de recette, de motorisation, ou de formulation de détergent : c’est une trajectoire vers une nouvelle image de soi, un nouveau rapport à l’objet ou au service et à ses impacts sociaux et écologiques. Et cela comporte des étapes incontournables : comprendre les enjeux, sa part de responsabilité, évaluer la balance bénéfice-risque et sa motivation pour payer plus parfois, réévaluer ses propres valeurs identitaires, changer des habitudes au long cours, tester, re-tester, échouer, revenir, réussir… Ces étapes ne sont pas théoriques : elles ressortent de nombreuses études, des dernières décennies, notamment “le modèle Transthéorique” des Dr Prochaska et DiClemente. Les socio-types existants, avec en clé de voûte les CSP et autres personas ne les prennent pas en compte. Il est temps de traiter cet angle mort avec de nouveaux critères de segmentation. C’est inconfortable, mais très prometteur. C’est la suite de notre métier, de notre histoire. »
Sophie Roosen, directrice Marque & Impact chez Union des marques - Changer les représentations sociales dans la publicité. Même celles de représentations de consommation excessive ?
« Pour mobiliser la société, faut-il faire évoluer les représentations véhiculées par la publicité ? Oui, bien sûr. Par sa diffusion à un large public et sa capacité à représenter des scènes de vie dans lesquelles chacun s’identifie, la communication peut contribuer activement à développer des attitudes de consommation et d’usage plus responsables, et cela sans renier sa fonction initiale de présentation et de mise en valeur des offres des entreprises. Une communication responsable et alignée est d’ailleurs un facteur de préférence de marque. C’est ce que montre la 1ère édition du baromètre de la communication RSE que nous avons publié avec 366 et Kantar début 2023. Une mise en scène responsable, alliée à la créativité et l’humour qui sont les forces intrinsèques de la publicité, va contribuer à créer des désirs plus en phase avec les limites de notre monde fini et faire progresser la marque. C’est cette voie qui permettra aux marques d’être véritablement durables, dans tous les sens du terme. »
Vianney Vaute, cofondateur de Back Market - Activer les ventes d’une offre responsable, est-ce bien responsable ?
« Back Market a toujours entretenu un rapport paradoxal à la communication et la publicité. Dans notre ADN, on s’est construit à l’origine comme un projet presque “décroissant”, dont le rôle serait de “libérer” les consommateurs de la pression permanente de l’upgrade exercée par les géants du neuf, selon un principe simple : achetez le produit dont vous avez besoin, seulement quand vous en avez besoin. Or cette philosophie trouve sa limite dès lors qu’on fait de la publicité, même si notre marque se veut “responsable”. Parce que par nature la publicité impose un message et un tempo au consommateur. Elle vient forcément nourrir, amplifier, accélérer un besoin. Ce constat génère encore aujourd’hui pas mal de débats en interne. Pour autant, on n'a jamais sérieusement considéré de se passer de la publicité. On reste réalistes : si on veut vraiment atteindre l’ambition de faire du reconditionné un mode de consommation massif, on doit faire face aux géants du neuf avec leurs armes. La pub reste un moyen extrêmement efficace de gagner rapidement l’attention et le cœur de millions de consommateurs. L’enjeu est de maintenir un bon équilibre : la publicité reste pour nous une arme “tactique”, qui nous aide par à-coups à conquérir des parts de marché face au neuf. Mais on se doit de toujours penser la marque (ses valeurs, sa personnalité, sa vision) comme si elle devait se passer de la publicité à long terme, pour rester fidèle à notre philosophie de “libération” des consommateurs. En d’autres termes, la notion de responsabilité en communication n’est pas exempte chez nous d’une certaine schizophrénie. Le tout est d’abord d’en être conscient pour garantir cet équilibre. Et de garder en tête une sorte de “point de mire idéologique” à atteindre dans le futur pour rester cohérent avec notre ADN de marque originel. »