Cyril Dion, écrivain, réalisateur, poète et militant écologiste français, est parti à la recherche d'« Un Monde nouveau » sur Arte, a réalisé les documentaires « Demain », « Après-Demain » ou encore « Animal ». Nathalie Pons, chief impact officer de Havas Group, l’a rencontré. Entretien.
On vous connaît comme cinéaste et essayiste, comment en êtes-vous venu à la poésie ?
CYRIL DION. J’ai commencé à écrire de la poésie à 16 ans et publié mon premier recueil en 2014, avant de faire des films, voire de faire de l’écologie. Pour moi, la poésie n’a pas vocation à faire passer des messages, c’est avant tout un art, une forme de jaillissement. Dans mon nouveau recueil, les poèmes cohabitent avec la musique et des œuvres contemporaines. Dans l’introduction, je rappelle que la poésie existe partout où les gens résistent. C’est aussi un moyen de survie. Je suis à la fois et heureux et anxieux quand un livre paraît. Je ne suis jamais vraiment satisfait, je pourrais retravailler indéfiniment les textes. C’est la même chose avec les films, j’ai monté Demain pendant neuf mois, Animal, pendant huit mois… il faut qu’à un moment le distributeur dise stoppe pour que j’arrête.
Demain est sorti en 2015, Animal, en 2021. Quelle est leur complémentarité ?
Pendant la tournée d’Animal, j’ai eu des milliers de témoignages de gens et notamment de jeunes qui m’expliquaient comment Demain avait influé sur le choix de leurs études, de leur boulot, sur la transformation de leur organisation ou encore sur la création de leur entreprise… C’est intéressant d’avoir confirmation de l’intuition que nous avions alors eue sur le besoin des gens d’être portés par un récit, une vision du futur en se reconnaissant dans des héros qui leur ressemblent. À rebours des standards que la société leur donne à voir, un certain « american way of life » porté par les influenceurs : être célèbre, gagner beaucoup d’argent, avoir beaucoup de possessions matérielles… Là, ils se retrouvaient face à des gens qui expliquaient avoir quitté leur job en banque pour faire de l’agriculture urbaine, gagner beaucoup moins d’argent, mais être fiers parce que cela donnait du sens à leur existence.
Cette apparition de nouvelles représentations a-t-elle quand même un peu bougé depuis 2015 ? Les deux jeunes dans Animal en sont les témoins…
Ça bouge, un peu, mais ni assez vite ni assez fort. Prenons l’exemple du sexisme. Un récent rapport souligne, malgré tous les efforts actuels, combien les représentations sexistes restent puissantes, particulièrement chez les 15 à 34 ans. Le porno, qui pèse pour un tiers de la bande passante d’internet, y est pour beaucoup et participe d’une dissonance cognitive entre déclarations et comportements. L’écologie, c’est un peu pareil. Et je vais faire un parallèle un peu malheureux pour vous, mais dans un cas il y a le porno, dans l’autre, la pub. Ces jeunes sont soumis à des milliers de messages publicitaires chaque jour créant des représentations du monde et des injonctions très puissantes. Cela appelle à faire émerger des récits différents et faire que les récits actuels, portés par les médias, les réseaux sociaux, internet… soient responsables. Que pèsent quelques films et quelques livres face à une telle force de frappe ?
En matière d’écologie, la communication et la publicité ont justement la force de frappe pour faire changer ces comportements et rendre cette transition positive et attrayante.
Bien sûr, ils ont une puissance considérable. Les publicitaires mettent déjà leur capacité à raconter de belles histoires pour des produits. Produits que l’on voit de moins en moins d’ailleurs, au profit de l’amitié, la convivialité, les grands espaces… Tout y est beau et les valeurs qui y sont mises en scène n’ont d’autre vocation, de manière très subliminale, qu’à se confondre avec le produit. Oui, ils savent le faire… Mais quel est l’objectif ? Si c’est vendre plus, alors c’est tout le contraire de ce dont a besoin aujourd’hui l’écologie.
On peut aussi avoir le souci de vendre mieux…
Selon moi, vendre autre chose ne suffira pas. C’est le grand mirage. Tous les rapports d’économistes dont on dispose - et ça figure dans le troisième volet du rapport du Giec - indiquent que la croissance verte est une illusion. Les énergies renouvelables n’ont pas remplacé les énergies fossiles, elles se sont additionnées. Et on consomme de plus en plus d’énergie. Est-ce que l’économie soi-disant dématérialisée a fait que l’on utilise moins de matières ? Non. Jamais nous n’avons utilisé tant de matière, extrait tant de minerais dans les mines. La courbe est en constante augmentation. Croissance verte, croissance propre, croissance durable… pour moi, ce sont des oxymores.
Il y a quand même des entreprises qui s’y attellent sincèrement, tant au niveau climatique que sociétal…
Emmanuel Faber a tenté et on a vu comment cela s’était passé. Bien sûr qu’il y a des entreprises qui essaient, j’en rencontre toute l’année. Mais elles sont tenues par les contraintes de croissance et des actionnaires qui mettent la pression. Sauf à être Yvon Chouinard avec Patagonia, un exemple très inspirant. La principale difficulté est d’accepter de gagner moins d’argent, et pour ce faire, que les indicateurs ne soient plus seulement financiers, mais incluent par exemple l’impact sur la santé. À défaut, et je suis assez radical, il faut arrêter de travailler pour ces entreprises. Les jeunes ont déjà leur propre black-list.
Au-delà du commanditaire, dans les récits que nous construisons en communication, je veux croire qu’il y a une place pour coder les bons comportements…
Les récits ont besoin de se transformer notamment sur un point : cesser de croire que l’être humain est plus important que tout le reste du monde vivant. Et que l’on peut donc exploiter ce monde vivant sans limites pour doper la croissance. Et croire que nous résoudrons tous les problèmes avec la technologie. Il faut sortir de cela. Nous sommes une espèce vivante qui fait partie d’un écosystème. Des vivants parmi les vivants. Cela nécessite de comprendre quels sont les équilibres qui tiennent la vie, les équilibres climatiques, mais aussi les équilibres de biodiversité, les équilibres des océans, les équilibres des forêts, les équilibres des sols, les équilibres de l’atmosphère. Et ensuite trouver comment on peut organiser notre vie sur cette planète sans rompre ces équilibres, voire en participant à régénérer le monde vivant, en l’enrichissant.
Tout ce débat nous amène à la formation des créatifs pour déployer ces nouveaux récits…
Il y a en effet un enjeu général de formation. C’est pourquoi nous avons créé, avec Marion Cotillard, fin d’année dernière, l’association Newtopia. L’objectif est d’être acteurs de la bataille culturelle qui permettra de faire émerger d’autres représentations du futur. Pour le moment, la plupart sont très dystopiques et/ou ultra-technologiques, et de fait, très peu de gens sont capables d’imaginer un futur soutenable. Nous sommes en train de mettre au point des modules de formation et de résidence pour les scénaristes, les producteurs, les réalisateurs, les vidéastes… Ça pourrait aussi être, demain, pour les publicitaires.
Que conseilleriez-vous à un jeune, voire votre fils, s’il vous disait vouloir travailler dans la communication ?
Je lui demanderais d’abord quel objectif cela servirait, quel monde cela participerait à construire. Et je lui conseillerais de se mettre au service des gens qui construisent ce monde qu’il aimerait voir advenir… puis de vérifier s’il y a un modèle économique pour ça (rires).