Candidate aux prochaines élections municipales à Roquebrune-Cap-Martin, commune de bord de mer jouxtant Monaco, Marie-Christine Franc de Ferrière a récemment fait parler d’elle au-delà des frontières de sa ville. Comment ? Depuis quelques mois, elle s’essaie au réseau social TikTok, avec plus d'une douzaine de publications au compteur. L'une de ses vidéos - sans mention de sa candidature… - lui a valu une certaine notoriété, avec 56 000 vues selon Libération qui, après France 3 Provence Alpes Côte d’Azur début janvier, lui a consacré un sujet début février. Si son succès sur la plateforme se discute (« seules » 105 personnes se sont abonnées à son compte), l’initiative a le mérite d’exister. En tout cas, cette incursion sur ce nouveau réseau fait figure d’exception. Le digital, potentiel terrain de résonance pour les idées des maires et candidats qui s’y aventurent, reste visiblement encore assez peu investi, du moins de manière innovante.
Parmi les nouveaux outils les plus utilisés, Facebook Live, où des maires tiennent désormais des permanences virtuelles, tandis qu’Instagram permet de montrer des vues attractives des villes. Nombreuses sont aussi les villes ou les maires à avoir leurs comptes sur Twitter. En revanche, sur TikTok ou même Twitch, les initiatives se comptent a priori sur les doigts d’une seule main… « Sur les élections locales, il ne se passe pas grand-chose dans le digital et, surtout, c’est assez mal fait, observe Ronan Le Goff, directeur associé de l’agence digitale La Netscouade. L’essentiel des candidats se contentent de créer des pages Facebook, Twitter, Instagram. C’est courant mais pas très efficace car ils partent de zéro et, pendant plusieurs mois, parlent dans le vide. Les taux d’engagement sont faibles. » Par ailleurs, « cela sert à annoncer ses passages médias mais pas tellement à faire passer ses idées », ajoute le dirigeant. D'autant que la communication des collectivités en période pré-électorale est très encadrée et que les maires déjà en place, entre autres, ont des règles strictes à respecter.
Un magazine en réalité augmentée
La tendance est a priori la même hors élections. « Le numérique commence à avoir sa place mais les mairies restent sur des supports très traditionnels comme l’affichage, observe Virginie Gonzalez, directrice d’agence chez ho5, structure spécialisée dans la communication et le marketing comptant une poignée de mairies dans son portefeuille clients. Nous essayons de repenser l’affichage en numérique… C’est déjà un cap pour elles. »
Dans cette tendance globale, des localités, cependant, se détachent. C’est le cas de Roanne, près de Lyon, qui a souhaité donner une nouvelle dimension à son traditionnel journal municipal. « Nous avons réalisé un magazine 100 % en réalité augmentée », dévoile son maire Yves Nicolin, qui voulait ainsi « changer l’image de sa ville ». Dans ce numéro, réalisé avec la société Argo, chaque article est doublé d’une vidéo que l’on peut visionner sur son smartphone via une application. Un vrai investissement pour la ville, dont le service communication prend en charge la réalisation de toutes les vidéos. Un investissement financier aussi : l’application a coûté 4 000 euros auxquels s’ajoute un euro par page de droit d’usage de l’application. « 600 vidéos ont été regardées », témoigne le maire, pour un tirage du journal à 27 000 exemplaires. Si l’expérience n’a pas été reproduite, la technologie est aussi utilisée ailleurs, sur des flyers ou des panneaux publicitaires. Une bonne façon de la rentabiliser…
Websérie sur l'environnement
D’autres mairies investissent des terrains différents. À Lambersart, dans le Nord, une websérie a été mise en place autour du thème de l’environnement. Une initiative accompagnant un défi précédemment lancé aux familles de la ville pour les sensibiliser à la question des déchets. Huit vidéos ont ainsi été publiées sur YouTube et Facebook entre février et décembre 2019, et les histoires ont même été déclinées en stories sur Instagram. Les vidéos ont enregistré en moyenne 1 500 vues sur Facebook, « avec un pic pour une vidéo sur un nouveau commerce engagé zéro déchet », illustre Jeanne Rousselet, community manager de Lambersart. Autre impact, cette initiative a permis de faire parler de la ville, comme lors des Rencontres de la vidéo mobile à Paris début février.
C’est aussi sur la vidéo que parie Baka Seyyd-Mohamed, candidat aux prochaines élections municipales à Florange, en Moselle. Celui-ci peut en effet compter sur le soutien de jeunes de la ville réunis au sein du collectif BAB’J (Bouge avec Baka Jeunesse), qui contribuent à faire la communication du candidat en diffusant des vidéos sur les réseaux sociaux. « Cela m’aide dans la campagne, tout en étonnant certains élus », assure Baka Seyyd-Mohamed.
Mais explorer les possibilités offertes par le digital n’est pas la seule façon d’innover. Ronan Le Goff constate le succès des réunions d’appartement et du porte-à-porte : « Inspiré des campagnes américaines, popularisé en France par Emmanuel Macron en 2017, le porte-à-porte est bien reçu par les citoyens », estime l’expert. Dans le vent, les podcasts séduisent aussi les politiques, qui investissent dans cette nouvelle forme de narration. C’est par exemple le cas d’Anne Hidalgo, avec le podcast Paris en commun. De façon générale, « certains candidats jouent la carte de la modernité et c’est assez bien fait », explique Ronan Le Goff.
Communication multicanale
Autant de nouvelles initiatives qui ne signent pas la mort des moyens de communication traditionnels, bien au contraire. Les deux peuvent être utilisés en complémentarité. « La communication doit être multicanale car nous avons des publics cibles qui n’ont pas de smartphones, ne lisent pas les journaux », défend François Deysson, maire de Villecerf et président de l’AMR77 (Association des maires ruraux de Seine-et-Marne). Celui-ci mise aussi bien sur une appli mobile permettant aux habitants de recevoir des informations sur le village (via PanneauPocket) que sur des panneaux disposés aux entrées de la commune, mais aussi un journal, les réseaux sociaux et du mailing. À Vélizy-Villacoublay, dans les Yvelines, le digital permet d’enrichir les articles publiés dans le magazine de la ville via des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, racontant l’information autrement. « En septembre-octobre, nous avons suivi un menuisier qui a refait la porte d’une ancienne église de Vélizy. Il a eu un article dans le magazine et la fabrication de la porte a été filmée et mise en valeur sur les réseaux sociaux », illustre Stéphanie Odéon, directrice de cabinet et de la communication mairie. Un bon exemple de complémentarité entre les supports.
Twitch, un désert pour les politiques ?
La politique et Twitch, ça fait deux. Compliqué - pour ne pas dire autre chose - de trouver un maire ayant expérimenté ce terrain de débat, à l’image d’un Edouard Philippe se prêtant au « Grand Débathon » sur la plateforme en février 2019. « La plateforme n’existe sérieusement en France que depuis 2014-2015. Elle est jeune aussi dans ses codes, inspirés du jeu vidéo », entame Jean Massiet, fondateur d’Accropolis, « la seule chaîne » parlant de politique sur Twitch. Au-delà du premier ministre, le Parti Socialiste ou encore la France Insoumise ont tenté des expériences sur la plateforme, sans grand écho. Mais au niveau local, rien. La plateforme est pourtant basée sur l’interactivité, via un chat, un bon moyen pour être en contact direct avec les gens. « Le problème de Twitch, c'est que cela permet de parler avec un public déjà convaincu », souligne Jean Massiet. Sans compter que l’impact n’est pas aisé à mesurer. Pas de quoi, toutefois, compromettre les chances de Twitch de séduire cette cible à l’avenir. « Twitch est en train de s’ouvrir. En parallèle, les candidats vont se rajeunir », ajoute le streamer. Reste à trouver la recette gagnante. Et à faire sauter certains verrous : « la posture de Twitch n’est pas celle que les politiques aiment. Ce n’est pas une communication descendante. »