C'est en blouse de travail – celle de son père ouvrier – que Baptiste Thiery nous accueille dans les bureaux de son agence, Josiane – le nom de sa mère, dont un portrait figure dans l’entrée. L'agence de publicité est sise dans un ancien garage automobile du XIe arrondissement de Paris, rue des Nanettes. L'on y retrouve certes du mobilier chic, mais les murs et poulies au plafond, dans une tonalité industrielle, sont authentiques. Un tableau parfait pour l’agence qui vient de repositionner l'identité visuelle du Parti communiste français. Parfait à un drôle de détail près : Mitterrand, le petit chien mascotte de l’agence. C'est celui de Laurent Allias, l'autre cofondateur de la société. Le publicitaire revient de l’inauguration du premier E. Leclerc Relais à Paris, autre client de l’agence, qui lui a confectionné le slogan : « Pas de quartier contre une vie chère. »
Camarade bourgeois
Céder sa communication à des agences, messagères du grand Capital... La démarche pourrait faire sourciller. Ce n'est pourtant pas la première fois que le PCF s'adjoint les services de publicitaires. En 2002, le candidat à la présidentielle Robert Hue fait appel à Frédéric Beigbeder, pur produit des grandes écuries de la com' - CLM BBDO, TBWA, Young & Rubicam... Le natif de Neuilly-sur-Seine, réputé grand bourgeois, accouche d’une affiche présentant la photo d'un SDF au sol et demandant : « Où est la gauche ? » Au Parisien, l'auteur du best-seller 99 francs confiera juste après : « J’aime les causes perdues. » Le résultat du 21 avril 2002, on le connaît.
L'expérience Beigbeder fait encore tiquer aujourd'hui au PCF, comme chez Josiane. Mais le duo Thierry-Allias n'en revendique aucun héritage. « Nous nous sommes pas mal questionnés car c'est inhabituel pour nous de travailler pour un parti politique », confie Baptiste Thiery. Le directeur de création souligne que Josiane n’est pas non plus « l’agence du PCF avec l’idée d’organe de propagande historiquement liée au communisme ». Si une agence de pub est par défaut « un gros mot » pour un communiste, l’inverse ne serait donc pas vrai.
« L'idéal communiste n'est plus celui des années 30, mais nous remarquons toujours qu'il existe un fossé entre ce qu'il est aujourd'hui et l'image perçue », relève le publicitaire, qui dit avoir accepté de travailler pour le Parti en raison de son côté « humain ». Si le cas s'était présenté, l'agence aurait-elle été capable de suivre La France insoumise, voisine du PCF idéologiquement, mais autrement plus visible sur le plan médiatique, et devenue principale force d’opposition du gouvernement ? « Nous aurions accepté il y a un an, peut-être moins aujourd'hui », répond Josiane, qui évacue en passant toute collaboration possible avec le Rassemblement national. Soulignant le côté « challengerdu PCF », Baptiste Thiery ose ce parallèle : « il est plus intéressant de travailler pour Pepsi que pour Coca-Cola... ».
Le PCF, une icône de la pop culture ?
Sans figure aussi forte que Jean-Luc Mélenchon, ses 410 000 abonnés sur YouTube et ses 55 millions de vidéos vues, le PCF et son nouveau secrétaire national Fabien Roussel - désigné en décembre 2018 - ne rivalisent pas sur le terrain des médias et des réseaux sociaux. En fait, le PCF serait-il devenu une icône de la pop culture, renvoyant à l'image de la faucille et du marteau, à Georges Marchais et au Bébête Show ? On referait l’image du PCF comme on relancerait le plan de com de l'Atari VCS : en surfant sur des codes populaires désubstantialisés sans jamais croire à un retour. Pendant ce temps, place du Colonel-Fabien (dont les initiales forment « PCF ») à Paris, au siège dessiné par Oscar Niemeyer, des touristes instagramment à l'envi la coupole, le béton et la moquette verte du monument, classé en 2007.
« Nous avons l’image d’un parti vieillissant plus ou moins rattaché à l’union soviétique », déplore Julia Castanier, directrice de la communication du PCF. « En réalité nous comptons beaucoup de jeunes, 25 % ont la trentaine ». Pour l'avenir, elle s'appuie sur le « Manifeste pour un Parti communiste du XXIe siècle », voté en octobre 2018, et une base revendiquée de 120 000 membres. Pour amplifier son message, le PCF voulait « un œil extérieur et créatif ». Le Parti a rencontré cinq agences avant de jeter son dévolu sur Josiane. Fabien Gay, sénateur PCF de Seine-Saint-Denis, connaissait Laurent Allias.
Créer un choc d'image
Le brief se résume à « créer un choc d'image ». La faucille est remisée, autant que le marteau. La typographie est plus douce et en rondeur. Mais la révolution – terme galvaudé s'il en est par les communicants – se situe au niveau de la nuance de rouge, qui tire désormais légèrement vers le rose. Le logo, lui, se limite à l'étoile rouge, mais réinterprétée – toute référence avec le drapeau de la Corée du Nord serait fâcheuse. Cette identité visuelle sera étendue à toutes les fédérations locales afin d'unifier la communication. Pour y parvenir, un an de « co-construction » avec le parti, et une démarche, dit-on pudiquement, « itérative ».
« On adore dire qu'il faut redonner un avenir à son passé », souligne Laurent Allias. Le PCF conservera sa mention au communisme – Beigbeder lui-même n'avait pas convaincu Hue de le transformer en « Parti humaniste français ». Avec un budget fixe d'une année sur l'autre malgré cet effort supplémentaire, le PCF compte aussi dépoussiérer son image en reliant son fondement idéologique à des tendances actuelles. « Des idées communistes font le succès du capitalisme et sont hyper modernes, comme l’économie collaborative (Blablacar) ou la valeur d’usage (Drivy) », pointe le publicitaire. Avec un film et des affiches, Josiane entend « révéler les communistes qui s'ignorent » le tout dans un ton positif. « Si vous êtes pour l'augmentation des salaires et pas des dividendes ; pour le rejet de tous les racismes ; pour une économie écologique… vous êtes sûrement communistes. »