Aujourd'hui plus que jamais, les publicitaires créent des univers de marque à travers l'image, une tendance d’autant plus vraie que les plateformes Facebook ou Instagram favorisent le format vidéo. Mais selon l’institut Gartner, 30% des sessions de navigation se feront sans écran en 2020, et la moitié en 2029. « Cela ouvre une nouvelle ère pour les marques qui utiliseront le potentiel de la voix, pour en faire l'un des points de contact marketing les plus innovants, analyse Sandrine Plasseraud, directrice générale de We Are Social. Elles doivent donc travailler sur une signature vocale unique, reconnaissable, avec une personnalité. » « C'est une problématique que 98 % des marques n’ont jamais prise en compte, souligne Virgile Brodziak, co-directeur général de JWT Paris. Elles travaillent leur logo, leur charte graphique, leur style lexical, il faut ajouter la voix et plus précisément la tonalité, l'accent, le débit. Actuellement, seule la SNCF a une voix reconnaissable, avec Simone. »
Équipes en formation
Ce nouveau point de contact avec les consommateurs représente un défi pour les agences, qui adaptent leurs équipes en conséquence. Chez JWT Paris (qui a fusionné récemment avec Wunderman), l'entité dédiée au contenu Colloquial s’est enrichie d’une nouvelle offre, Colloquial Audio, spécialisée dans la production de podcasts. Ce format en vogue participe en effet à l'écosystème audio des marques, et les aide à être référencées sur les assistants vocaux. Les consultants sont formés aux nouvelles technologies et des UX designers travaillent sur la conception d’expériences de services (des «skills» sur Amazon Alexa, des «actions» sur Google Assistant). «Nous travaillons aussi avec des studios de production sonore, des agences de castings de voix, des sociétés qui font de la synthèse vocale. Il y a encore un champ d’amélioration énorme dans l’expression des émotions, les intonations en fonction des situations», précise Virgile Brodziak.
Mediameeting, créateur de radios d’entreprises depuis 15 ans, s’est positionné sur les podcasts et propose une mesure de la performance de ces programmes. La société vient de recruter Jean-Pierre Cassaing, ancien directeur du département audio d’Havas Media, pour diriger sa stratégie. Fondée en 2009 autour des contenus digitaux, l’agence lyonnaise Conversationnel a quant à elle développé une expertise dans les chatbots et, récemment, dans les voicebots, leur traduction vocale. Par exemple, pour la marque Bledina, l’agence travaille sur un programme d’accompagnement à la diversification alimentaire sur assistant vocal. «Le but n’est pas seulement de réaliser le contenu et le ton de voix mais aussi de définir le positionnement stratégique de la marque, explique Robin Coulet, cofondateur. La météo, la musique ou la recherche d’adresses cantonnent les marques dans une fonction utilitaire ; il faut une narration pour que celles-ci soient recherchées et choisies sur un assistant vocal. Les parents de jeunes enfants, qui ont souvent les mains occupées, sont intéressés par cette dimension.»
Les agences spécialisées dans le branding sont aux premières loges pour intégrer cette nouvelle compétence. Landor, experte de l’image de marque, s’est diversifiée dans la «brand voice», explique Jérémie Barry, directeur de création de l’agence de Paris: «On définit des chartes verbales pour les assistants vocaux, avec une syntaxe et un vocabulaire propres à chaque prise de parole.» Même chose pour l’agence Sixième Son, spécialisée en identité sonore et musicale depuis 1995, qui a naturellement évolué vers l’identité vocale.
Regagner du temps d'écoute
De son côté, Havas Paris a créé une offre podcast en septembre dernier. Elle est dirigée par Chloé Tavitian, elle-même adepte de ces programmes audio lors de ses trajets domicile-travail. «Il y a une défiance croissante vis-à-vis des marques: notre étude groupe Meaningful Brands a montré que 75% d’entre elles pourraient disparaître sans que nul ne s’en soucie, rappelle-t-elle. Le podcast permet de regagner du temps d’écoute, de passer d’une logique d’interruption publicitaire à une logique d’intégration.»
Si des marques sponsorisent déjà des podcasts réalisés par des journalistes (par exemple, Guerlain pour La Poudre chez Nouvelles Écoutes), Havas Paris réalise des programmes sur mesure pour ses clients, comme LVMH, l'Armée de l'air ou Orange. Cette offre fait appel aux ressources d'Havas Village, le rapprochement des métiers du groupe, notamment en production sonore. Elle peut aussi s'appuyer sur des profils extérieurs comme le journaliste Julien Cernobori, du podcast Superhéros (Binge Audio), qui a réalisé des interviews pour LVMH. Havas Paris est également partenaire du Paris Podcast Festival, dont la première édition a eu lieu en octobre à la Gaîté Lyrique. L'agence a même lancé son propre podcast en interne, Paris Digital, sur la culture numérique. « C’est un domaine de passionnés, y compris chez les clients. Cela permet de fédérer les profils que cela intéresse », précise Chloé Tavitian.
Au sein du groupe Havas, Fullsix a pris la tête de la réflexion sur le vocal, pour évangéliser les clients et former les équipes. Matthieu Frairot, le directeur général de Fullsix France, a organisé des conférences chez Orange et dans le groupe Mulliez, en insistant sur la nécessité de définir une expérience de marque avant de se précipiter sur la nouveauté. « Nous formons les équipes à l’acquisition de l’outil, par exemple nous les encourageons à réserver des salles de réunion en vocal, précise le dirigeant. Je regarde ce sujet de près depuis début 2017, je suis attentif notamment aux questions d’éthique qui se posent aux États-Unis sur la protection des données. » Car l’intérêt pour ce nouveau point de contact ne signifie pas un engouement béat pour la technologie.
Le groupe Havas est aussi à l’affût de partenariats avec des start-up pour progresser dans la reproduction de la voix humaine, avec ses intonations et ses sentiments complexes. Pour les spécialistes, 2019 sera l’année des voix spécifiques de marque, pour se différencier des voix robotiques des fabricants.