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La création africaine est colorée, joyeuse, sans détour... mais elle est aussi complexe et variée en fonction des pays aux situations économiques et sociales très différentes.

En Afrique, la démarche créative n'échappe pas à une réalité, trop souvent occultée hors du continent: cette région du monde est d'une incroyable diversité. Chaque pays a des problématiques uniques qui ne sont pas sans incidences, notamment sur la manière de communiquer. «Nous avons pour habitude de dire que le continent est divisé en trois hubs –est, ouest et sud–, chacun avec des écosystèmes différents, une culture et des comportements consommateurs propres. La publicité doit prendre en compte tous les aspects de ces cultures régionales», explique Yossi Schwartz, chairman de Y&R Africa, basé au Cap.

Ces grands ensembles présentent des niveaux de création qui varient de manière considérable pour des raisons économiques évidentes mais aussi pour des questions historiques, comme le précise Amine Bennis, vice-président de Rapp Maroc et président de Tribal DDB Casablanca: «les pays colonisés par les Britanniques sont meilleurs en création que ceux colonisés par la France.» Champion créatif toute catégorie: l’Afrique du Sud. L’expérience publicitaire du pays le plus développé du continent est une référence grâce aux multinationales implantées sur son territoire, aux investissements qui y sont plus importants qu’ailleurs et à ses entreprises en expansion. Autre pépite créative: l’Égypte. «Les professionnels égyptiens (acteurs, réalisateurs...) sont très compétents. Les créations sont bien craftées. Ils sont proches du ton qu’on trouve en Argentine. C'est vraiment moderne», considère Alban Penicaut, directeur de création chez Havas Paris, juré au dernier African Cristal Festival. «L’Égypte est un pays de culture, ils sont passionnés par le cinéma et ont de très bons réalisateurs. Ils savent raconter des histoires», ajoute Amine Bennis.

Cette performance s’explique également par le fait que l’Égypte comme l’Afrique du Sud sont les pays avec le Maroc où Internet affiche le plus fort taux de pénétration (source: Deloitte) et profitent de l’essor du mobile sur le territoire, principal vecteur de la créativité des marques.

L'Ouest en transition

Ces exceptions mises à part, quatre pays se détachent de la mêlée. «La Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Sénégal et le Kenya sont les pays les plus matures. Ils se permettent plus de libertés que les autres marchés où nous sommes encore à l’époque de la “réclame et où il faut valoriser de façon explicite les bénéfices produits: la lessive qui mousse plus, la bouteille de gaz qui contient plus de gaz, etc.», expliquent les cofondateurs de l’agence Blue Lions, Adrien Cusinberche et Guillaume Aoust, implantée à Paris, Casablanca et Abidjan. L’Afrique de l’Est est soumise à deux influences, avec d’un côté le Kenya, très proche de la création publicitaire occidentale, et de l’autre des pays comme l’Ouganda et l’Éthiopie dont les créations sont ancrées dans la culture locale. L’Afrique de l’Ouest reste, elle, en retrait. «Cette zone est très indépendante, fière et encore à un stade de transition», précise Yossi Schwartz. «En Afrique noire, il y a moins de production, on est principalement sur de la télévision et de l’affichage avec un niveau créatif peu élevé mais des films un peu barrés, typiques, assez inhabituels pour nous», confirme Alban Penicaut.

De manière générale, les idées créatives au sens européen du terme ne rencontrent pas un franc succès sur le continent. La création se doit en effet de refléter les mœurs locales, dont la principale, et commune à tous les pays, est le bonheur. «Le rapport au temps et notamment au temps qui reste à vivre est très différent de l’Occident: il faut en profiter et s’amuser. La joie de vivre s’accompagne généralement de couleurs et de beaucoup d’humour, décrivent les cofondateurs de Blue Lions. Les copies créatives consacrées à l’Afrique doivent donc en tenir compte et c’est l’erreur que font beaucoup d’annonceurs de considérer qu’ils peuvent décliner un message tel quel alors que cela ne parlera pas du tout au consommateur africain qui a un référentiel très différent. Orange l’a compris en digital où la marque parle à ses fans ivoiriens en parlant de “famille Orange” et en les tutoyant.»

Sujets tabous

Les créatifs sont confrontés à d’autres grands écarts culturels, la diversité des dialectes parlés sur le continent (plus de 2 000) en fait indubitablement partie. «L'existence de si nombreuses langues peut expliquer que ces régions sont aussi les moins créatives», précise Yossi Schwartz. L’Afrique du Sud comme l’Égypte parlent d'ailleurs une seule langue, respectivement l’anglais et l’égyptien. «Notre premier souci dans la publicité est d’être compris, les concepts viennent des mots, et sur le continent, pour être compris par tous, on est obligé de descendre au niveau le plus bas de la création, précise Amine Bennis. Ces dernières années, quand on communiquait avec des jeux de mots français, les arabophones ne nous comprenaient pas et on en était venu à créer des publicités avec des textes vraiment très simples. Désormais, on communique de plus en plus en arabe et le cas échéant, on traduit les expressions, jeux de mots et concepts arabes en français.»

À ces problématiques viennent s’ajouter les sujets complexes que sont le racisme, la place de la femme ou encore la religion qui peinent à se faire une place dans la communication. «La plupart des marchés sont très contrôlés au niveau de la publicité. Par exemple en Côte d’Ivoire, il faut un agrément pour être une agence de publicité. Si une agence (ou un annonceur) va sur un sujet trop compliqué, l’agrément peut être retiré, ce qui signifie la disparition de l’agence», confient Adrien Cusinberche et Guillaume Aoust. «La publicité peut toutefois ouvrir les esprits, même si elle ne va pas tout changer. Au Maroc, la majorité des marques tentent de projeter un idéal qui répond à une attente de la population, notamment de voir la femme libérée, comme peut le faire Royal Air Maroc dans ses publicités», déclare Amine Bennis. Une évolution certes parfois encore timide, mais qui laisse entrevoir des perspectives prometteuses en termes de création.

Une jeunesse omniprésente

Les jeunes sont une des cibles privilégiées des publicitaires. En effet, plus de 200 millions d’Africains, soit plus de 20% de la population totale, sont âgés de 15 à 24 ans (Deloitte). D’autant que la jeunesse, pour Ahmed Hafez Younis, executive creative director de FP7/CAI (McCann) en Égypte, n’a pas les mêmes préoccupations que les jeunes Européens: «Il faut remettre les choses en perspective… Si dans les pays développés, les adolescents font face aux problématiques liées à l’attirance physique, en Afrique, ils sont en quête d’identité. Un spray pour le corps qui se vend en Europe comme un aimant pour le sexe opposé serait probablement vendu dans certains endroits d’Afrique comme un booster de confiance.»

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