Après dix-huit mois de digitalisation intensive de nos quotidiens, il est urgent de se revoir au plus vite. Un constat unanime qui dépasse largement la sphère événementielle. « Nous savons déjà que les deux prochains semestres seront consacrés au format “retrouvailles” », avance même Antoine de Tavernost, directeur général d’Auditoire. Et après ? Sur quoi pourrait capitaliser un milieu événementiel qui reprend tout juste du service ? Probablement pas sur les fastes d’antan, si l’on en croit Jérôme Pasteur, fondateur de l’agence With Up : « Les grands spectacles se sont perdus pour des questions budgétaires et les tonalités doivent aussi évoluer en raison d’un contexte économiquement contraint et d’une quête de sens très forte chez tous. »
« Événements archipels »
Les nouveaux formats du millésime 2022 seront donc principalement dictés par la transformation massive de nos habitudes. « Le monde devient nomade et les audiences sont moins présentes au même moment au même endroit. Les points d’ancrage se déplacent donc du physique au digital », reprend le directeur général d’Auditoire. Conséquence directe et déjà très visible, l’explosion des événements hybridés sur les plans géographique ou temporel. François Bitouzet, CEO de PublicisLive Paris, les appelle d’ailleurs les « événements archipels » : « Nous croyons beaucoup à cette tendance de hubs disséminés dans le monde, avec des allers-retours entre ces épicentres et une plateforme centrale, permettant à chacun de s’exprimer. Ce sont des formats riches en termes d’engagement et de team building. » Pour Nicolas Gazzola, associé de Superbien, studio de création visuelle, cette pratique en sous-tend d’ailleurs une autre, celle des plus petits événements : « Les grands rassemblements sont délaissés au profit de choses plus petites, de repeat shows plus nombreux, avec des messages davantage personnalisés. » Dans la même veine, l’expert voit les lieux immersifs émerger dans les briefs comme dans les grandes capitales. Pour Anthony Fauré, directeur marketing et innovation de l’Unimev et directeur du think tank L’Innovatoire, cette logique nouvelle de l’intimisme amène également avec elle la tendance des formats « coulisses », capitalisant sur la transparence : « L’ère vécue a imposé l’authenticité et la vérité en valeurs cardinales. Le format backstage en est une incarnation. » Et de citer les exemples des Vingt-Quatre Heures du Mans digitalisées qui ont montré l’envers du décor, ou encore du documentaire Hors Champs, réalisé par Hermès en lieu et place de son défilé.
Tendances naissantes
Et si les événements se territorialisent, ils s’étirent également dans une valeur temps devenue élastique pendant cette crise. « Le replay et le travail du contenu en périphérie deviennent centraux dans nos réflexions », rappelle Jérôme Pasteur. Autre grand buzzword du moment, la gamification. « Avec la crise, les publics ont besoin d’entertainment. La dimension ludique offre un engagement plus fort et chacun crée sa propre consommation de l’événement », projette Antoine de Tavernost. Même son de cloche chez PublicisLive Paris : « Les publics, dès lors qu’ils ne sont plus assis dans une salle dans le noir, peuvent être amenés à faire des choses incroyables », s’amuse François Bitouzet. Côté technologie, la réalité augmentée (AR) et la réalité virtuelle (VR) devraient porter beau en 2022. Même si Nicolas Gazzola préfère tempérer : « La demande est plus forte, la 5G et les nouveaux devices sont de plus en plus puissants, comme les technologies AR des réseaux sociaux aidant à la démocratisation de ces usages. Mais n’ayant pas encore la possibilité d’utiliser les smartphones des audiences pour proposer nativement des expériences riches et de qualité, l’alternative repose sur des devices dédiés préconfigurés. C’est un frein, en plus de coûts de développement encore élevés. » À plus long terme, le secteur observe avec intérêt certaines tendances naissantes. Anthony Fauré attend par exemple beaucoup des premières expérimentations des marketplaces sur des événements, comme l’a lancé récemment le Salon du chocolat. Autre sujet faisant l’objet de toutes les attentions, celui du NFT, ou jeton non fongible, certificat de propriété d’un bien numérique unique (œuvre d’art, vidéo-animation…) encrypté dans la blockchain. McDonald’s, Taco Bell et LVMH s’y sont déjà essayés, et si les agences ne savent pas encore trop comment valoriser ces concepts, il est à parier qu’ils sont déjà de tous les brainstormings.
« Métavers »
La virtualisation, enfin, enthousiasme. Et avec elle la notion de métavers, mot inventé en 1992 par l’auteur de science-fiction Neal Stephenson pour désigner les univers virtuels parallèles. Chez Auditoire, qui a conceptualisé pour son client Pernod Ricard le jumeau numérique de l’île des Embiez, propriété foncière du groupe, on en est certain : « Si Second Life n’a pas marché, c’est parce que nous n’avions à l’époque pas les bons devices. Demain, les audiences auront leurs avatars, alors que les marques pourront inventer de nouveaux modèles d’affaires pour diversifier leurs revenus. » Référence probable à Gucci qui n’hésite pas à créer des sneakers pour avatar à 12,99 dollars ou des mondes imaginaires sur Roblox, univers virtuel dédié aux gamers. « Avec des technologies de meilleure qualité, tous les récits de marque peuvent être inventés », acquiesce Jérôme Pasteur. Pour Nicolas Gazzola, c’est le sens de l’histoire : « De plus en plus de communautés virtuelles se créent, avant peut-être qu’il n’y ait plus qu’un seul métavers pour représenter la planète. Nous y basculerons tous et il deviendra la norme d’avoir son avatar. » Promesse d’avenir très orwellienne, et qui soulève un autre enjeu, lui très rationnel, celui des compétences nécessaires pour manipuler tous ces formats numériques. Codeurs, développeurs de jeux vidéo, data scientists, UX designers, graphistes 3D… With Up, Auditoire, Superbien et PublicisLive ont déjà lancé les recrutements. Et les autres ? « Miser sur les nouveaux métiers et les compétences, quitte à créer des coopérations d’un nouveau genre, c’est le nouveau défi majeur de notre profession », admet Anthony Fauré. Et même probablement son prochain marqueur.