1. La publicité à la télévision
En octobre 1968 fut diffusé en France le premier film de publicité à la télévision. Je me souviens de la décennie qui suivit, la décennie 1970, comme d'une période d'apprentissage. Une génération de créatifs, ceux qui savaient ciseler des accroches pour la presse magazine, durent se recycler. Beaucoup n'y sont pas parvenus. Je me rappelle ces rédacteurs rédigeant une voix off et demandant à un directeur artistique de la mettre en image, croyant que l'on concevait des films de cette façon.
La mutation fut difficile. Elle n'eut pas l'ampleur des changements radicaux dus aujourd'hui à la révolution numérique, mais un parallèle peut malgré tout être dressé. Car depuis la dernière guerre, deux moments clés ont révolutionné le métier. L'avènement de la publicité à la télévision, et 40 ans plus tard, la révolution Internet.
Ce fut une époque enthousiasmante, nous faisions beaucoup d'erreurs, mais par la simple loi des grands nombres, quelques très belles campagnes ont émergé. Je pense par exemple au « Il faut secouer Orangina » imaginé dès 1972 ou aux campagnes pour Volkswagen, Canada Dry et La Samaritaine. Sans oublier les superbes affiches pour la Grèce ou l'Irlande...
Londres dominait la scène créative, Boase Massimi Pollitt (BMP) et Collett Dickenson Pearce (CDP) étaient les deux agences phares de l'industrie. Les campagnes pour Heineken, Hamlet ou Benson & Hedges sont des classiques intemporels que l'on retrouve avec plaisir sur YouTube aujourd'hui.
Quant à nous, les Français, quand nous ne tournions pas avec Jean-Jacques Annaud, nous traversions la Manche pour travailler avec Ridley Scott, Tony Scott, Adrian Lyne, Hugh Hudson ou Alan Parker. Les futurs réalisateurs de Blade Runner, de Top Gun, de Flashdance, des Chariots de feu ou de Midnight Express n'avaient pas encore tourné un seul long métrage. Mais leur talent était déjà incomparable. Aller à Londres, c'était comme aller à la Mecque.
2. L'achat d'espace, un nouveau métier
Les agences de publicité sont nées à la fin du XIXe siècle. Mandataires de leurs clients, elles achetaient l'espace. Puis peu à peu elles ont proposé de concevoir les messages pour remplir ces espaces. Elles sont devenues ce qu'on appelait à mes débuts des agences « à service complet ».
Jusqu'au jour où, c'était à la fin des années 1960, Gilbert Gross redissocia les activités en créant la première société d'achat indépendante. Il commença par acheter de grandes quantités d'espace à la radio et à l'affichage, puis un peu plus tard en presse magazine.
Nous sommes nombreux à avoir dénoncé ses méthodes, il reste qu'il inventa un nouveau métier. Il fut à l'origine de la séparation entre achat d'espace et création publicitaire, laquelle allait prévaloir au plan mondial vingt ans plus tard.
3. L'essor des marques
Avec la publicité à la télévision était né le marketing moderne. Procter & Gamble, spécialiste de la publicité sur ce média, était devenu une pépinière. Les futurs présidents de Danone ou Kronenbourg, les marques qui à l'époque investissaient le plus en publicité, y firent leurs classes. Ainsi qu'un grand nombre de publicitaires, futurs fondateurs d'agences : Alain Cayzac, Jean-Michel Goudard, Bernard Brochand, Jean-Claude Boulet et bien d'autres.
L'école proctérienne voulait qu'une marque ne puisse couvrir qu'un produit. Or en Europe, les dépenses publicitaires étaient à l'évidence bien plus faibles qu'aux Etats-Unis. Dix fois moindres en France. Nous avons pris conscience qu'il était trop onéreux de créer une nouvelle marque à chaque fois qu'un nouveau produit était lancé. L'expression « portefeuille de marques » apparut.
Je me rappelle de dizaines de notes écrites à Danone sur ce sujet. Nous recommandions de ne pas multiplier les marques de yoghourt, sachant que l'entreprise en commercialisait plusieurs types, du « nature » à l'aromatisé en passant par le yoghourt au lait entier. Danone devint ce que l'on appelait à l'époque une « marque-ombrelle ».
Ce n'est que dans les années 1990 que les Américains commencèrent à vraiment penser en terme d'extension et de gestion de portefeuilles de marques. Ainsi, sur ce sujet, les Français furent précurseurs. Ils ont compris très tôt qu'avec le temps la marque se détache des produits qui l'ont façonnée, et qu'elle se donne une signification propre. L'Amérique a inventé le marketing, l'Europe a approfondi le concept de marque.