Dossier Télévision
Face aux plateformes, qui ont encore accru leur popularité à la faveur des confinements, les chaînes TV disposent d'un certain nombre d'atouts dont la capacité à rassembler des millions de téléspectateurs autour d'un événement en direct. Sans parler de leur ancrage local.

C’est une fonctionnalité apparue plutôt discrètement sur Netflix France début novembre 2020. Une option de visionnage baptisée « Direct » permet désormais à l’utilisateur de regarder un épisode de série ou un film choisi pour lui, selon un programme prédéfini. Ce modèle de flux linéaire répond aux attentes d’un certain public : « En France, où la consommation de TV traditionnelle est très populaire, de nombreux spectateurs aiment l’idée de programmation qui évite de devoir choisir ce qu’ils vont regarder », expose Netflix sur son site. La source d’inspiration est claire. À travers ce qui n’est pour le moment qu’un test, la plateforme SVOD entend se renforcer sur un terrain bien connu des professionnels du petit écran en reprenant l’une des pratiques de cet univers : l'idée de grille de programmes. Objectif : rassembler de fortes audiences au même moment autour d’un même contenu.

En télévision, le direct n’a rien de nouveau mais il a connu un certain regain ces derniers mois à la faveur des confinements, comme avec l'émission Tous en cuisine de Cyril Lignac sur M6. Même chose avec On est en direct de Laurent Ruquier sur France 2, ou Ça peut vous arriver de Julien Courbet, également sur M6 (lire Stratégies n° 2056). « Programmée le matin, cette émission aide les gens à régler des litiges. Les plateformes SVOD ne peuvent pas faire ça », remarque Elodie Giraud, consultante chez Square, groupe de conseil en stratégie et organisation.

Pour autant, même si le live fait partie des cartes jouées par les chaînes pour se différencier des plateformes, la concurrence a fortement augmenté ces derniers temps, y compris sur ce terrain. « Quand Brut fait l’interview du président ou bien suit des manifestations avec Rémy Buisine, quand Amazon prend des droits pour la diffusion de Roland-Garros et de matchs de la NFL, on voit que le linéaire n’est plus du temps restreint aux chaînes TV », observent Muriel Arnould et Guillaume Dimitri, cofondateurs de Demain, société de conseil notamment spécialisée dans la transformation des médias.

« Assèchement des contenus »

Autre enjeu, la question de l'approvisionnement et de la distribution des contenus. « On s’oriente de plus en plus vers une distribution de contenus internationale. Sur ce plan, les groupes français ne sont pas très bien positionnés, sauf Canal+. Le risque est celui de l’assèchement des contenus – quand, par exemple, Disney+ se réserve les contenus Disney, estime Guillaume Kordonian, consultant expert en médias et digital, directeur associé du cabinet PMP Conseil. Et il y a de plus en plus de compétition pour s’arracher un bon programme. Netflix investit dans ses programmes trois à quatre fois plus que l’audiovisuel français réuni. »

Les chaînes elles-mêmes sont entrées depuis longtemps dans une logique de « plateformisation », de MyTF1 à 6Play, en passant par France.tv ou plus récemment Salto, la plateforme SVOD lancée à l'automne dernier par les groupes TF1, France Télévisions et M6. « Avant, on regardait un programme en famille. Maintenant, la tendance est à la consommation spontanée de contenus individuels et interactifs. La notion de plateforme annihile la logique de chaînes. Il n’y a pas vraiment d’opposition entre les deux car la plateformisation des TV est en cours », analyse Arnaud Marcilly, directeur associé et fondateur de ThinkMarket, cabinet de conseil en management. « Les chaînes travaillent à la fois sur leurs plateformes digitales et en TV. La série No Man’s Land sur Arte était disponible en numérique avant la diffusion à l’antenne », renchérit Elodie Giraud. Une sorte de replay inversé, pratiqué aussi par France Télévisions depuis la rentrée 2019. 

« Les chaînes ont un gros avantage, le live, la capacité à réunir autour de moments importants. Avant, c'était l e film du dimanche soir, aujourd'hui, ce sont des grands moments sportifs ou d’actualité », renchérit Arnaud Marcilly. Y compris, voire surtout, lors de moments dramatiques comme des attentats ou l’assassinat de Samuel Paty.

Sujets de société

« À la mort de Valéry Giscard d’Estaing, les chaînes ont interrompu leurs programmes, ont ressorti des archives, ont mis en place des cérémonies collectives autour de grands temps forts nationaux », illustre Muriel Arnould. Ces actualités peuvent être culturellement ancrées, au sens large. « Quand France 3 diffuse 120 battements par minute et propose ensuite un débat, c’est une manière de s’ancrer dans les sujets de société », poursuit la spécialiste.

Autre atout, l'ancrage local. « La culture américaine aime ce qui est uniformisé, simple et transposable. Nous, nous sommes dans la personnalisation. Le live, les plateformes pourront y aller. Mais le live à contenu local… Par exemple, Cyril Lignac a une personnalité qui plaît en France. Les grandes plateformes ne vont pas se positionner sur des modèles locaux », synthétise Guillaume Kordonian. Ce qui est vrai pour l’information l’est aussi pour le divertissement. « Cet ancrage local se voit aussi dans les feuilletons, qui peuvent s’intégrer dans l’actualité, grâce à un processus de production où la diffusion suit de près l’écriture. Et rentrer ainsi dans des débats de société, comme la légalisation du cannabis », illustre Guillaume Dimitri. De même, selon lui, la manière dont M6 fait Top Chef est très française. « Aux États-Unis, le programme est davantage fondé sur une vision économique. Le but est le chèque à la fin », indique-t-il.

Enfin, dans l’univers du sport, dont les retransmissions ont longtemps été la chasse gardée des seules chaînes télé, la concurrence s'intensifie. L’arrivée d’une plateforme comme Dazn, qui va diffuser du sport en direct, n’est peut-être pas une bonne nouvelle pour les chaînes (lire Stratégies n° 2066). « La problématique est moins une question d’innovation - ce que veulent les spectateurs, c’est voir le match - que de coût et, pour les chaînes, de rester dans la bataille inflationniste », expose Guillaume Kordonian. Ce qui n’empêche pas d’utiliser les nouvelles technologies, comme la vidéo 3D, pour permettre de voir un match « augmenté ».

3 questions à Gilles Freissinier, directeur du développement numérique chez Arte

« Il y a davantage de live en digital »

Comment la problématique de l’innovation face aux plateformes se pose à vous ?

On ne se vit plus comme une chaîne TV mais comme un média culturel public et européen qui place la stratégie numérique au cœur de sa stratégie globale. Notre offre éditoriale est un bouquet de trois offres : chaîne TV, site internet et présence sur les médias sociaux et les plateformes vidéo. Le numérique représente une opportunité en distribution car les programmes peuvent être regardés en dehors de l’antenne. Il incarne aussi la vocation de créativité, d’innovation portée par Arte.

Quelle est la place du live à Arte ?

Nous avons davantage de live en digital qu'à l'antenne. Sur le numérique, le lien avec le public est immédiat. L’une de nos vocations est de créer de l’échange entre les personnes et entre les peuples européens. On rend le live pertinent car souvent les réalisateurs, les auteurs échangent avec les internautes. Au-delà des concerts, très réguliers, nous venons par exemple de proposer un live sur YouTube autour de la série documentaire H2O : l’eau, la vie et nous. Aussi, nous créons des programmes spécialisés pour les plateformes, comme le Arte Book Club, un club de lecture animé avec la chaîne YouTube Le Mock.

Quelles expérimentations ont été menées pendant les confinements sur ces sujets ?

Le premier confinement a accéléré les mutations d’usages. Nos enjeux sont de créer du lien social entre les utilisateurs français et européens mais aussi entre les artistes et les publics, d’imaginer de nouvelles formes d’accès aux œuvres d’art, par exemple via la série Seul.e au musée, et enfin donner des clés de compréhension du monde et de l’effet du Covid sur les relations internationales, par exemple à travers Covid 19, une leçon de géopolitique, diffusé sur YouTube et Arte.tv. Nous avons aussi testé un nouveau programme sur Twitch, Jour de Play, qui reviendra au premier trimestre.

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