C’est une mention très réduite, tout juste quelques lignes, dans les 460 pages du rapport final de la Convention citoyenne pour le climat. Mais la proposition d’interdire les écrans vidéo publicitaires dans l’espace public divise. « Les écrans vidéo publicitaires envahissent notre quotidien et les citoyens se trouvent soumis à une pression publicitaire croissante synonyme avec ce média de gaspillage d'énergie et de ressources, et de pollution lumineuse », écrivent les 150 citoyens tirés au sort dans un document datant de juillet. En février, 160 personnalités dégainaient déjà leurs arguments, dans une tribune publiée par Le Journal du Dimanche : « Les écrans publicitaires apparaissent comme une incohérence dans une société toujours plus marquée par l'urgence écologique, le gaspillage d'énergie et de ressources, et où la pollution lumineuse devient un réel motif d'inquiétude pour la biodiversité », assuraient ces députés, chercheurs, représentants d’associations, au premier rang desquels le député Matthieu Orphelin, dissident LREM, qui incarne aujourd’hui ce combat.
La mise en cause ne date pas d’hier. « Le DOOH souffre d’une réputation de pollueur depuis des années », contextualise Vladimir Aubin, président du Club du Digital Media, qui regroupe différents acteurs du DOOH (producteurs d’écrans, éditeurs de logiciels, créateurs de contenus…). Écrans trop intrusifs et facteurs de pollution visuelle, recours à des fournisseurs situés à l’autre bout du monde… Les critiques ne manquent pas, même s'il est encore très difficile d'évaluer l'impact environnemental réel de l'affichage digital. Les études ne se bousculent pas et la comparaison avec les autres médias pose problème. A priori plus écologique, le papier nécessite par exemple pour sa production de grandes quantités d’eau, un facteur à prendre en compte dans un éventuel comparatif. Autre certitude : le périmètre considéré doit être large, inclure non seulement la consommation électrique mais aussi l’ensemble du cycle de vie du panneau, de la production à sa fin de vie voire son recyclage.
Média stigmatisé
S’agissant de la consommation électrique, un panneau de 120 x 176 cm en veille cinq heures par jour et ayant une durée de vie de dix ans consomme en moyenne 1735 kWh par an, selon le calcul de Frédéric Bordage, fondateur et animateur de GreenIT.fr, communauté des acteurs du numérique responsable. « Un foyer français sur une année hors chauffage, c’est 6000 kWh », note l’expert. La régie Phenix Digital annonce que, chez elle, mixer les formats de panneau permet d’en revoir à la baisse la consommation énergétique, qui s’établit autour des 2000 kWh par an et par écran, soit 122 kg équivalent CO2.
En parallèle, selon une étude commandée par la mission d'information du Sénat - qui a, dans la foulée, proposé des mesures adaptées - et rendue publique en juin, le numérique représente seulement 2% du total des émissions de gaz à effet de serre en France, le DOOH représentant lui-même une toute petite partie du numérique. C’est précisément l’un des arguments des acteurs du secteur de la communication extérieure qui, de ce fait, trouvent injuste que ce média soit stigmatisé. « Une baisse sensible de la pollution a été constatée pendant le confinement en raison de l’arrêt des émissions de gaz à effet de serre. Là est l’enjeu du millénaire qui vient, sans dogme populiste, qui ne coûte pas cher sauf à la filière concernée, défend Jean-François Curtil, PDG d’ExterionMedia. Ce ne sont pas nos panneaux qui entretiennent la couche de gris sur Paris. »
Énergie renouvelable
Autres arguments des « pro-DOOH » : le secteur est très réglementé et la communication extérieure a le droit d’opérer sa transformation digitale comme l’ont fait les autres médias avant lui. Dans les faits, les acteurs se mobilisent déjà pour réduire leur empreinte environnementale. « Nos membres constatent une demande de la part de leurs clients pour s’inscrire dans une démarche RSE », remarque Vladimir Aubin, du Club du Digital Media. « Nous avons constaté que, sur 162 appels d’offres analysés en 2019 dans 35 pays, plus d’un tiers d’entre eux ne contient pas de critères environnementaux ni sociaux. Quand ces critères sont existants et évalués, ils ne pèsent en moyenne que pour 9 % dans la décision finale pour le volet environnemental et 5 % pour le volet social », tempère Carole Brozyna-Diagne, directeur du développement durable et de la qualité chez JCDecaux. « On en est aux balbutiements, complète Laurence Farenc, déléguée générale du Club du Digital Media. Il y a une demande des clients mais pas de démarches au sein des entreprises, qui restent peu structurées sur la RSE, si ce n’est Samsung avec un responsable dédié. »
De leur côté, les afficheurs déploient déjà des actions concrètes en la matière sur l'ensemble de leur parc. Utilisation de LED et éclairages intelligents, fourniture en électricité verte, entretien à l’eau de pluie, sélection de fournisseurs responsables… sont autant de mesures prises pour réduire leur empreinte environnementale, le tout inscrit dans des politiques RSE plus larges à l’échelle des entreprises. Depuis fin 2019, JCDecaux France fait partie des 19 filiales du groupe qui couvrent 100 % de leurs consommations d’électricité grâce aux énergies renouvelables. Symboles de son engagement, le géant de la communication extérieure a également rejoint le RE100, réseau mondial d’entreprises engagées en la matière et a intégré la liste A du classement du CDP [Carbon Disclosure Project] pour son action dans la lutte contre le changement climatique. « Une reconnaissance de notre maturité, de notre ambition, de notre capacité à suivre ces sujets dans le temps », appuie Isabelle Schlumberger, directrice générale commerce, marketing et développement chez JCDecaux.
Calcul de bilan carbone
De son côté, Médiaperformances, société de shopper marketing, compense depuis début 2020 la totalité de ses émissions de CO2 en soutenant financièrement trois projets « durables » (accès à l’eau potable, lutte contre la déforestation, production d’électricité solaire). Autre exemple, Cenareo, fournisseur d’une solution d’affichage dynamique, a conçu un outil basé sur une plateforme SaaS et un player Raspberry Pi, dont la consommation serait environ dix fois inférieure à un lecteur classique d'affichage dynamique. Avec un ancrage transversal, le Club du Digital Media veut se mobiliser pour la filière. « Nous réfléchissons à la mise en place d’un outil de calcul de bilan carbone incluant la fabrication et pourquoi pas une certification », confie son président.
Enfin, la responsabilité environnementale va de pair avec une responsabilité plus large, celle d’inscrire son engagement écologique dans une véritable stratégie RSE. « Notre média est inclusif car il est dans la rue, accessible, gratuit. C’est par essence le plus démocratique, explique Boutaïna Araki, présidente de Clear Channel France. Le DOOH nous donne la puissance de porter le bon message. »
Le DOOH au-delà de la pub
Rendre service à la communauté. Voilà une vocation a priori bien éloignée de celle des panneaux publicitaires, et pourtant… Quand ces panneaux permettent de diffuser des messages d’utilité publique (rappel des gestes barrières…), informent sur la vie municipale ou citoyenne (changement d’emplacement du marché, communication à destination des touristes…), mettent en valeur des associations ou des projets artistiques, ils vont bien au-delà de la promotion de produits au service d’une marque. Certains acteurs comme Phenix Digital se sont spécialisés dans les vidéos éditoriales ; un partenariat entre Clear Channel et le média Brut s’inscrit dans une démarche similaire. Cette dimension d’utilité de l'affichage a d'ailleurs été mise en scène dans une opération publicitaire orchestrée fin 2019 par BETC pour Peugeot, à travers laquelle les panneaux permettaient de recharger un nouveau véhicule de la marque à partir du bruit ambiant.