#StrategiesLes15 / Christophe Collet
La mort annoncée du commerce physique n’aura pas lieu. Le magasin est encore bel et bien là, faisant même de l’ombre au e-commerce. La fin de la dualité on/off rebat les cartes, aussi bien pour les consommateurs que pour les marketeurs.

Aurions-nous perdu notre temps, ces dernières années, à assister à des conférences prônant les modèles digital first ? On voit fleurir depuis six mois de nouveaux articles sur le grand retour du magasin. Si le nombre d’achats effectués en ligne chaque minute augmente et s’il existe une vraie hype autour des bots, en 2018 les consommateurs continuent à avoir envie d’essayer un produit avant de l’acheter et d’interagir avec de véritables vendeurs. D’ailleurs 90% des ventes effectuées à travers le monde se font toujours dans des boutiques physiques. En France, les ventes en ligne représentaient 8% seulement du commerce de détail fin 2016*. Et si au final la dualité on/off était déjà dépassée ?       

L’URL à la conquête de l’IRL

« Les e-commerçants débarquent en ville ». A la tête de ce mouvement censé faire frémir les retailers historiques, on trouve bien entendu Amazon. Le premier magasin Amazon Go a ouvert ses portes fin janvier à Seattle, faisant disparaître l’attente en caisse... Mais les ambitions d’Amazon dans le retail vont bien au-delà de la simple idée de nous faire gagner du temps. Après avoir ouvert une dizaine de librairies à travers les Etats-Unis, le géant américain s’est offert pour 14 milliards de dollars l’enseigne bio Whole Foods et ses quelques 500 points de vente. En France, Amazon aurait approché courant 2017 plusieurs acteurs de la grande distribution. Si aucun accord ne semble avoir été scellé pour le moment, sa volonté de s’installer en bas de chez nous semble incontestable.

A l’Est, même tableau : les cartes de la distribution chinoises sont aujourd’hui redistribuées avec Alibaba et son concurrent JD.com, pour qui la conquête des points de vente physique est une priorité affichée.

Face à ce raz de marée, la résistance des géants historiques de la distribution s’organise, à grands renforts de rachats et partenariats. Walmart – le premier groupe de distribution dans le monde – a ainsi fait l’acquisition de plusieurs pure players américains comme Bonobos ou Jet. Au Japon, c’est avec le champion du e-commerce Rakuten que Walmart s’associera sur le segment de la vente en ligne de produits alimentaires. Côté français, Carrefour se donne cinq ans pour devenir le leader du e-commerce alimentaire. Pour y parvenir, il a prévu un investissement dans le digital de 2,8 milliards d'euros, une plateforme en ligne unique pour regrouper ses 8 sites et 14 applications actuels, et un partenariat stratégique avec Tencent (la réussite du digital en Chine). Le nerf de la guerre de ces rapprochements : le partage de données… 

Mélange des genres

Malgré les apparences, non, le digital ne tuera pas le commerce physique. Bien au contraire : les algorithmes enrichiront l’expérience du visiteur grâce à la donnée et aux modèles prédictifs. Donc en transposant les expériences propres au web dans le monde physique : savoir quels sont les produits que votre client consomme et lui donner la possibilité de donner son avis et les recommander ; être capable de lui proposer des offres spéciales en rapport avec ce qui l’intéresse ; lui offrir des avantages en l’échange de la création d’un compte client. Exactement comme n’importe quel site e-commerce, en somme. In fine, l’ancien profil CRM lié à la carte de fidélité du client devient un profil augmenté du shopper, mixant donnée online, in-app et in-store. L’enjeu est également de repenser l’expérience proposée en magasin pour en faire autre chose qu’un étalage de produits. Une étude Havas Paris - OpinionWay parue en 2017 annonce ainsi que 60% des 18-24 ans ont envie de magasins où ils peuvent faire autre chose qu’acheter. Un boulevard pour les retailers ! Concerts et showcases, événements artistiques – on pense notamment au modèle de La Galerie des Galeries, l’espace d'exposition des Galeries Lafayette Haussmann, coffee shops ou lieux de vie intégrés au magasin… Les possibilités pour faire de son point de vente un lieu particulier et développer un lien fort avec le consommateur sont sans fin. Que l’on soit un retailer traditionnel... ou un pure player du net. L’essor des pop-up stores développés par des e-commerçants en est la preuve : magasin Birchbox, concept store Smallable à St Germain-des-Prés, ou encore appartement Sézane, qui après son succès parisien ouvre en plein cœur de Manhattan… Les marques digital-native ont bien compris l’intérêt de créer des lieux uniques pour renforcer leur relation avec les shoppers.

Car au final pour le consommateur, il ne s’agit que d’une seule et même histoire : se renseigner sur un produit en ligne pour l’essayer et l’acheter en boutique ; découvrir un produit chez son retailer puis consulter les avis de clients de la marque sur internet ; profiter du retrait d’un click and collect pour compléter ses achats avec des nouveautés présentées en magasin… Il devient donc essentiel de penser et faire converger toutes ces intentions d’achats au sein d’une seule et même plateforme de marque. Fini le temps du one-to-many : tout lieu de vente, qu’il soit physique ou dématérialisé, doit penser une approche one-to-one.

Et la pub dans tout ça ?

Si l’acheteur ne se soucie plus de quand ni comment il consomme, cette nouvelle donne du commerce aura incontestablement un impact sur les stratégies des professionnels de la publicité. Tout d’abord, n’en déplaise aux sceptiques de la big data, l’abolition de la frontière on/off générera encore plus de données à analyser et exploiter. La collecte et l’utilisation de cette donnée devront obtenir un consentement clair et assurer un strict respect de l’anonymat et de la vie privée des personnes ciblées par les messages publicitaires. Cette data permettra non seulement de mieux comprendre les habitudes de consommation de l’utilisateur mais surtout de savoir quel type de publicité il aime et quels messages il rejette. S’impose également le challenge de la mesure : si générer du trafic en ligne et en magasin physique peut sembler similaire, mesurer cet impact concret en point de vente requiert des technologies totalement différentes que ces bons vieux trackers utilisés pour la pub online !

Car ce qui se joue ici est un changement de paradigme. En passant d’un modèle de panels, post-campagnes, à des algorithmes de mesure en temps réel d’un impact concret en magasin, la technologie permet aujourd’hui de rendre enfin chaque euro dépensé en publicité efficient. Le marketing tel que nous le connaissions entre alors dans l’ère de l’optimisation sur la base de ce qui compte réellement pour une marque : générer des ventes. Peu importe qu’elles soient en ligne ou en points de vente.







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