En 1971, année de naissance de Stratégies, la publicité vient tout juste de faire son apparition à la télévision, depuis 1968. Si de nombreux pans de l’économie restent interdits d’antenne, les produits de grande consommation investissent les écrans, comme l’explique Sylvain Parasie, professeur de sociologie au Medialab de Sciences Po, auteur de « Maintenant une page de pub ! Une histoire morale de la publicité à la télévision française » (INA, 2010) : « En 1968, l’objectif du pouvoir était de faire de la publicité un outil de modernisation de l’économie. Il fallait développer la consommation, en lien avec l’ouverture des premiers hypermarchés. » C’est dans cette décennie que débutent de grandes sagas de marques restées dans les mémoires. Les collants Dim utilisent pour la première fois la musique enjouée de Lalo Schifrin à partir de 1970, dans un film signé William Klein qui a gardé toute sa fraîcheur. Le chocolat Crunch provoque des catastrophes en cascade dans un village dès 1971, devant la caméra de Jean-Jacques Annaud. Orangina invente le célèbre secouement en 1972, faisant d’un défaut du produit (la pulpe qui reste au fond de la bouteille) un argument de vente.
La mère Denis et Groquik
Vedette fait appel au bon sens de la mère Denis (« C’est ben vrai ça! ») la même année, Don Patillo commet le péché de gourmandise avec Panzani à partir de 1975… La troupe du Splendid encore débutante fait les belles heures de ce nouveau média populaire : on reconnaît Thierry Lhermitte misogyne à souhait pour le riz Lustucru (1975), Gérard Jugnot en voisin veule dans une publicité pour le sac poubelle Glad (1976), Marie-Anne Chazel avec des couettes pour la Foire de Paris (1976), Christian Clavier et ses gencives en béton pour Tonigencyl (1979). Quant aux écoliers de 1978, ils chantonnent les slogans écrits par Richard Gotainer pour les goûters BN (« Il est 4 heures, à la bonne heure ») et le jus de fruits Banga (« Dans Banga ya des fruits, oui mais pas trop »). Ils vibrent pour les aventures de Oum, le dauphin blanc du chocolat Galak, et de Groquik, le lapin géant de Nesquik… Autant de mascottes dont les marques se sépareront à grand peine.
Spots contrôlés et pub limitée
Jusqu’en 1974 et la dissolution de l’ORTF, la RFP, Régie Française de Publicité, veille au grain : le temps d’antenne est limité à deux minutes par jour, les spots sont contrôlés pour préserver la morale et les valeurs familiales. « L’idée était que la télévision était un spectacle familial qui touchait les gens à l’heure des repas, il n’était pas question de montrer par exemple un adolescent qui parle mal à ses parents », poursuit Sylvain Parasie. C’est donc au cinéma que l’on peut voir cet incroyable film pour Perrier où une main de femme caresse une petite bouteille qui grandit et explose dans un jet de gouttelettes (1976). Très peu diffusé à l’époque, ce spot de l’agence Langelaan & Cerf repasse régulièrement dans les rétrospectives de la décennie.