Nabilla qui prône le végétarisme, EnjoyPhoenix qui prie les marques d’arrêter les envois de produits, Romy qui crée une marque de maroquinerie vegan, Safia Ayad qui devient spécialiste du développement personnel… Que des influenceuses digitales de la première heure, qui ont construit leur activités professionnelles sur un système très consumériste basé sur la promotion de produits au cœur de leurs contenus, fassent ainsi volte-face, est un signal fort. «Il est clair que la filière de l’influence marketing est en pleine mue, observe Agathe Nicolle, fondatrice et directrice générale de l’agence Woô. La professionnalisation et la structuration du secteur pousse naturellement les créateurs de contenus à se sentir plus légitimes à partager des valeurs, à être davantage sélectifs sur les collaborations avec les marques.»
Depuis deux ans environ, les termes de «green» ou «éco-influenceur», d’influence éthique ou engagée, ont fait leur apparition dans les discours d’analyse du secteur. À l'origine, les premiers créateurs de contenus sont nés sur YouTube. Il n'y avait alors pas d’argent en jeu. Les marques ont ensuite intégré cet écosystème, permettant aux vidéastes d’être payés pour leur travail et de se professionnaliser. Puis la machine s’est emballée et cette sphère émergente a connu de nombreuses dérives et excès. On assiste même, en juin 2017, à une vague de burn out chez les influenceurs, phénomène baptisé «le blues des youtubeuses». En janvier 2019, EnjoyPhoenix annonce sa décision de ne plus recevoir de colis et se tourne peu à peu vers des sujets environnementaux. La star des réseaux sociaux est rapidement suivie par de nombreux autres créateurs.
Selon Traackr, les mentions relatives à la mode éthique ont augmenté chez les influenceurs de 54% entre 2018 et 2019. Mais attention, prévient Samuel Diop, responsable du département influence de l’agence Heaven: «Le biais de cohérence est le biais le plus important qui existe en influence digitale. La perception des créateurs qui n'abordent les grandes causes qu’en fonction des opportunités offertes par la viralité d’un hashtag est généralement très négative. Dès lors, il est primordial d’harmoniser les discours et les actions, d’être cohérent dans le temps et dans la régularité, au risque de provoquer le rejet de la part des audiences et une impression de green washing.»
Écologie publicitaire
Qui sont les éco-influenceurs? Il faut distinguer d’un côté ceux qui, toutes catégories confondues (lifestyle, food, humour, etc.), vont traiter les sujets environnementaux et sociétaux de manière sporadique, et de l’autre ceux qui en font ouvertement leur ligne éditoriale. Si l’on peut citer quelques grands noms de l’influence –Léa Camilleri, Coline ou Nicolas Meyrieux–, le plus souvent, les influenceurs écolos sont plutôt des «micro-influenceurs» (moins de 100 000 abonnés), majoritairement des femmes, très experts et passionnés. Céline, aka Iznowgood sur les réseaux sociaux, a ouvert son blog il y a quatre ans, dès le départ spécialisé dans la mode éthique (lire encadré). «À l’époque, le sujet n’était pas du tout tendance, la fast fashion régnait en maître et les informations sur qui, comment et où étaient fabriqués les vêtements ne circulaient pas du tout. Aujourd’hui, c’est à la mode. La prise de conscience écologique est générale dans la société. Naturellement, elle impacte les contenus sur internet.»
En chiffres, 44,2% des Français portent de plus en plus attention à la composition des produits et au pays de fabrication lors de leurs achats mode, selon un rapport de Spartoo. Plus de 9 Français sur 10 déclarent avoir consommé des produits biologiques, près des 75% consomment bio régulièrement (au moins une fois par mois) et 14% tous les jours, selon l’Agence Bio. Plus de 15% des Français se disent végétariens ou végans, selon Feeleat... Le naturel, le fait main, le seconde main, le cruelty free, etc. sont des sujets brûlants. La crise sanitaire et le confinement ont d'ailleurs accéléré ce besoin de retour aux sources et à une consommation raisonnée, confirmé par la vague verte aux dernières élections municipales en France.
Une mode évidemment teintée d'opportunisme pour certains, mais qui bouscule l’écosystème jusqu’ici bien huilé de l’influence digitale. Car qui dit éthique, dit sélection (de sujets, de marques, de comportement…), mais également des refus. L’éco-influenceur qui va prôner un mode de vie alternatif se trouve devant un paradoxe: faire de la promotion d’un produit, «influencer» l’achat, est contradictoire avec le fait de consommer moins. Le choix d’une influence plus green a de toute évidence des répercussions sur la rémunération des créateurs. EnjoyPhoenix a déclaré que depuis qu'elle se montre plus sélective sur ses collaborations avec les marques, l’impact sur ses revenus est important. Pour Céline d’Iznowgood et les autres créatrices de la même mouvance, l'argent a longtemps été un tabou. «Nous sommes un groupe assez soudé d’influenceuses éthiques, au sein duquel nous abordons depuis peu la question des budgets. Il y a encore deux ans, nous avions des réticences à faire payer des petites marques qui faisaient de grands efforts pour produire local, de qualité, et dans le respect de l’environnement. Mais aujourd’hui, nous avons établi un consensus autour du droit à être rémunérées pour notre travail et avons constitué ensemble une grille de tarifs.» Il est à noter que ces prescripteurs privilégient les partenariats de longue durée, de type ambassadeur ou égérie. «La notion d’écologie publicitaire est clé, prévient Agathe Nicolle de l’agence Woô. Ces influenceurs ont à cœur de faire moins mais mieux.»
Naissance d’un écosystème
Autour de cette tendance, un autre phénomène est naturellement en train de se former: la naissance d’agences d’influence et autres intermédiaires, positionnés sur l’écologie et l’éthique. À l’instar de So Influence, dont l’activité a démarré au début de l’année 2020. «Notre parti pris est vraiment d’accompagner les marques désireuses de communiquer sur des impacts positifs avec les influenceurs éthiques, indique Solène Dupuy de la Grandrive, fondatrice. Côté marques, nous sommes très vigilants sur la composition des produits, aux actions réellement mises en place, etc. Ce sont des aspects que les créateurs de contenus regardent désormais beaucoup plus qu’avant. Côté influenceurs, nous travaillons principalement avec des micro, dont le taux d’engagement, la proximité avec l’audience et le pouvoir de prescription sont très importants.» Même approche chez Wwwalk, qui se définit comme «la plus green des agences social media» et qui développe un «réseau d’influenceurs responsables», qualifiés sur la base d’une charte très précise. Sa fondatrice Khlauda Mollard, elle-même blogueuse lifestyle-voyages, travaille sur un processus de labellisation des créateurs de contenus au sein de la plateforme Greenfluenceforgood. «J’accompagne les marques dans leurs parcours vers une croissance marketing toujours plus verte et vertueuse, portée par de nouveaux consommateurs qui représentent une clientèle d’avenir.»
10 talents à suivre
- Take It Green
- Je deviens écolo
- La Petite Gaby
- Lili Fairly
- Victoria Arias
- Peau neuve
- Julien Vidal
- Roxane de Dearlobbies
- Noémie Delva
- Banana Pancakes
Marqu’IZ, le générateur de marques éthiques
Pour mettre en avant des marques qui proposent des modèles alternatifs, responsables, durables, et respectueuses de l'environnement, Céline, alias Iznowgood, a imaginé un moteur de recherche spécifique. Cet outil a vu le jour il y a deux ans, fruit du développement technologique de son conjoint développeur. Baptisé Marqu’IZ, il permet aux consommateurs de rechercher des enseignes selon différents critères grâce à un formulaire en ligne. «Certains sont plus attachés au bio, d'autres au local, au commerce équitable, au matières recyclées ou vegan, etc., explique la blogueuse. Mais il est également possible de renseigner un budget, un style, et d'autres critères de consommation.» Ainsi, l'utilisateur qui cochera par exemple les cases «Body pour bébé» et «Matière recyclée», obtiendra deux résultats: Second Sew et Shift to nature.