[Cet article a initialement été publié le 7 mars 2020]
Au milieu des bouteilles de rosé et des cigarettes en vrac des soirées parisiennes, l'on trouve aussi parfois des petits sachets contenant des têtes vertes. «C’est du CBD, tu veux tester ?» Cannabis et haschisch sont relégués au rang de «has been» pour laisser place à cette nouvelle variété, cousine du chanvre récréatif, mais plus simple à se procurer : il n’est plus nécessaire de se déplacer en périphérie parisienne, il suffit seulement de se rendre dans quelques coffee-shops légaux en France ou de commander sur les sites autorisés, en toute légalité. On en trouve même dans les rayonnages des magasins les plus respectables...
Baume au CBD, huile au CBD, liquide… le CBD s’hume partout. Et c’est le secteur de la cosmétique qui a été le premier à franchir la ligne en insérant ce chanvre industriel dans ses produits. Dotée de propriétés antioxydantes, régulatrice de sébum, cette plante est multitâche pour la peau. En pleine montée du «less is more», le chanvre s’avère également une alternative écologique. «Ce qui intéresse les marques, c’est le côté écologique de la plante. Le chanvre est assez modeste en termes de ressources naturelles, elle demande peu d’eau et pousse partout», expose Géraldine Bouchot, directrice tendance et prospective chez Carlin.
Le CBD se retrouve aussi dans nos assiettes. Un bang de hamburger ? Une pipe à l’huile ? Plutôt saupoudré comme des fines herbes, le CBD était par exemple la composante principale du dernier menu Censuré à la carte de Food Chéri. «Tout seul, ce n’est pas forcément gustatif. En revanche, sur le plan nutritionnel, c’est une plante intéressante. La France est d’ailleurs le troisième cultivateur de chanvre», avance la directrice de la communication et du marketing de Food Chéri, Marine Ricklin. Un menu parti en fumée chez les employés en costume trois pièces puisque en trois jours, il était sold-out.
Mieux que le viagra
D’autres jouent sur le secret pour attirer la clientèle. Rehab, le nouveau speakeasy parisien en vogue, propose des cocktails sans alcool et pourtant les clients en ressortent en titubant. Dissimulé dans les sous-sols de l’hôtel Normandy Le Chantier, ce bar mélange jus de concombre et jus de CBD. «Les consommateurs ressentent des bienfaits sur leur niveau d’anxiété, sur leur sommeil, même les sportifs ont une meilleure récupération», explique Marine Ricklin. Des effets opportuns pour une industrie dont la devise est le plaisir : en l'espèce, le sexe. Plus efficace qu’une pilule bleue, absorber quelques gouttes de CBD avant un rapport intime déstresserait et entraînerait de meilleures performances selon les principaux acteurs du milieu.
Le CBD, également connu sous l’appellation de cannabidiol, est une molécule présente dans les fleurs et les feuilles que produit la plante de chanvre ou, pour les plus férus de botanique, Cannabis Sativa L. Elle contient des dizaines de cannabinoïdes différents dont le CBD et le THC, d'où la confusion. «Son absorption n’a pas d’effet psychoactif, c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’action sur le cerveau, cet effet planant que peut entraîner le THC», avance Laure Bouguen, créatrice de la marque de cosmétiques Ho Karan et porte-parole du syndicat français du chanvre. Même si l’organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le CBD comme inoffensif, en France il est précisé dans l’article R. 5132-86 du code de la santé publique que «sont autorisées la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale (fibres et graines) des variétés de Cannabis Sativa L. dont la teneur en THC de ces variétés n'est pas supérieure à 0,20 %». Cette proportion de THC autorisée concerne la plante et le produit fini, un produit au CBD en France n'est légal que s’il ne contient aucune trace de THC à la fin de sa production. La vente de CBD n’est donc pas illégale en France, mais la législation reste encore floue. «Elle dépend également de la clémence des procureurs, selon leurs affinités avec le produit, des zones géographiques...», ajoute Laure Bouguen. Un effet fruit défendu dont les marques n’hésitent pas à jouer. Souvent associée à des feuilles de cannabis, la communication de certaines marques donne lieu à une double lecture, soit une appréhension soit un désir de braver l'interdit. «59% de nos clients ont goûté notre menu Censuré pour tenter une expérience insolite quand 30% l'ont testé pour bénéficier des effets du CBD», analyse Marine Ricklin à la suite d’un sondage mené en interne.
La France frileuse
Plus globalement, les freins relèvent d’un manque d’information. «Il y a une balance que la France a du mal à gérer, sa relation avec les drogues est très particulière. Elle interdit les drogues psychotropes alors que nous sommes le plus gros consommateur d’anxiolytiques», tempère le docteur Isabelle Bikart, directrice des affaires médicales au sein du réseau Havas Health and You. Ajoutez à cela un manque de retours et d’études. «Fin 2018, l’ANSM a émis un avis favorable quant à l’utilisation du cannabis thérapeutique à l’égard des maladies neurologiques: Alzheimer, sclérose en plaques, épilepsie, Parkinson… Les expérimentations commenceront officiellement en septembre», explique Isabelle Bikart. Une décision favorable également intéressante en termes d’économie de marché avec la possible ouverture d’une culture de cannabis à des fins récréatives, de bien-être et thérapeutiques. En 2019, Havas Health and You a anticipé les enjeux et créé le réseau ECS (Endocannabinoid Science) aux États-Unis. Il a pour but d’aider les professionnels de santé sur les sujets liés au cannabis thérapeutique, déjà bien implanté sur le continent américain.
En France, la déferlante verte n'est sans doute pas pour demain. «Cette tendance ne concerne que quelques happy few, les connaisseurs qui constituent à leur insu une espèce d’entre-soi. Comparables à la raw food, au vegan, ce sont des happenings marketing qui rythment les milieux snobs», nuance Géraldine Bouchot. Snob ou pas, dans une ère où le stress est la drogue principale du citadin, un peu de détente de temps en temps ne fait jamais de mal.