Dossier
Dans un marché dynamique mais restreint, les acteurs de l’e-publicité vont devoir définir des priorités pour rentabiliser leur business.

Malgré une progression de 7,6% en 2011 (source IAB-SRI), le marché de l'e-pub se trouve entravé par plusieurs facteurs structurels: un poids encore limité en valeur absolue, un déséquilibre entre l'offre et la demande en matière d'espaces publicitaires, l'intensification de la tension concurrentielle, la déflation des prix. Sans parler des orientations réglementaires, sans doute vouées à une coercition accrue (principe de l'opt-in, respect de la vie privée, droit à l'oubli numérique, restrictions dans l'utilisation des cookies...).

Dans un tel contexte, face à l'émergence de nouveaux usages, à l'apparition de nouveaux supports, au développement de nouveaux outils et à un spectre concurrentiel élargi, le marché ne pourra pas longtemps faire l'économie d'une redistribution des cartes. «Les régies se trouvent confrontées à des interrogations majeures quant à la profitabilité de leur business. Elles sont condamnées à amorcer un processus de reconfiguration de leur chaîne de valeur», résume Marie Delamarche, directrice générale du SRI.

Course à la rentabilité oblige, les régies sont tentées d'actionner un maximum de leviers, en capitalisant sur leur cœur légitime de positionnement. «Pour nous qui, à côté d'acteurs comme Google ou Yahoo sommes challengers sur le digital, le mobile constitue un terrain prioritaire», affirme Sylvia Tasson Toffola, directrice générale adjointe commercial de TF1 Publicité, en charge du digital.

La régie vient de lancer un nouveau procédé de publicité interactive, Oz, opérationnel depuis le 20 mai 2012. Intégrée à l'application MyTF1 (2,8 millions de téléchargements selon la chaîne), cette technologie de reconnaissance visuelle permet au téléspectateur muni d'un Iphone ou d'un Ipad d'accéder, simultanément à la diffusion d'un spot sur TF1, à des informations complémentaires sur les produits ou services de l'annonceur.

Face à l'enjeu de rentabilité, tous les acteurs ne partent pas égaux, loin de là. «Les régies les plus menacées sont les adnetworks, les agrégateurs de PAP. Il y a pour eux une urgence à se réinventer ou à se centrer sur des offres propriétaires», affirme Sophie Poncin, directrice déléguée d'Orange Advertising Network, qui met en avant un portail puissant fédérant 21 millions de visiteurs uniques – en grande majorités abonnés Orange – ainsi qu'un grand spectre de couverture des cibles et la maîtrise de la data.

«Notre offre premium se vend bien. Il ne s'agit donc pas pour l'instant de la mettre en enchères en temps réel. En revanche, nous allons travailler sur la vente de l'inventaire en adexchange. C'est sans doute sur ce champ que se structurera le marché», remarque-t-elle.

Véritable marché outre-Atlantique, les adexchanges ne représentent aujourd'hui que 4% du display en France. Mais pour Erik-Marie Bion, directeur général de Microsoft Advertising en France, le marché est d'ores et déjà plus développé que les mesures ne le montrent: «Les estimations courantes ont été établies avant que Microsoft et HiMédia ne se lancent sur ce terrain.» Selon IDC, les dépenses de RTB (Real Time Bidding: enchères en temps réel) en Europe devraient augmenter de plus de 100% par an d'ici 2015: 103% en France, 114% en Grande-Bretagne, 99% en Allemagne.

L'adexchange suscite de fait d'importantes manœuvres. Deux mois après le lancement en mars 2012 d'une plate-forme regroupant Lagardère Publicité, TF1 Publicité, Amaury Médias et Figaro Médias, Audience Square propose la commercialisation aux enchères et en temps réel d'audiences digitales 100% médias. A l'origine de cette nouvelle offre: Les Echosmédias, Libération Médias, M Publicité, Next Interactive Media, Le Point Communication, M6 Publicité Digital, Régie Obs et Express Roularta Services.

«Quand 140 régies se partagent un même marché, qui plus est relativement restreint, il va de soi qu'aucune n'est indispensable. Il faut donc faire la différence, en exploitant au mieux ses propres atouts», note Alix Pandréa, directeur général adjoint de Lagardère Publicité.

La valeur ajoutée d'une régie adossée à un groupe média se trouve incontestablement dans sa capacité à miser sur un savoir-faire éditorial, notamment au travers de plates-formes verticales. Lagardère a ainsi lancé dailyelle.fr, site dédié à la mode et présent sur 3 canaux (Web, mobile et tablette), dont le lancement a bénéficié d'un partenariat exclusif avec Chanel.

En l'espace de quelques mois, le Figaro a pour sa part lancé cinq sites dédiés au golf, à la santé, au vin, aux enchères et au nautisme. La plate-forme santé, ouverte en septembre 2011, recense déjà 745 000 visiteurs uniques. «Ces plates-formes génèrent du new business pur et dur. Elles représentent un tiers des 20% de croissance enregistrée par la régie digitale sur les cinq premiers mois de l'année», précise Patrick Hurel, directeur général adjoint de Figaro Médias, charge du digital.

Parallèlement aux sites verticaux, les régies multiplient les opérations spéciales. A l'image de «Yahoo fait son cinéma», web-journal quotidien lancé à l'occasion du 65e festival de Cannes. Une interprétation décalée de l'actualité cannoise à travers des interviews, des reportages, des défis, des parodies et des immersions dans les événements les plus marquants du festival.

«Yahoo Cinéma, qui rassemble en moyenne plus de 1,6 million d'internautes par mois, fait partie depuis dix ans du bouquet de chaînes déployé par Yahoo pour couvrir l'ensemble de l'actualité», explique Brigitte Cantaloube, directrice générale de Yahoo France.

Les contenus événementiels constituent également un axe majeur de monétisation pour Prisma. «Pour nous qui bénéficions d'importantes audiences de marques (11,3 millions de visiteurs uniques sur le Web, 2,3 millions sur le mobile, 700 000 sur la tablette), les opérations spéciales traduisent notre capacité à exploiter au maximum la valeur des contenus», souligne Frédéric Daruty, directeur exécutif de Prisma Média Digital.

La notion de contenu s'impose en fait comme le fil rouge des diverses stratégies de profitabilité des régies. C'est sur le terrain de la qualité éditoriale que se jouent les véritables hostilités. M6 Web a ainsi fortement investi dans la télévision enrichie, au travers d'un replay proposant chaque semaine entre 140 et 150 contenus.

Première à avoir lancé ses prérolls enrichis (avec Coca-Cola) en 2011, la régie de M6, qui compte une quarantaine de campagnes à son actif, réaliserait aujourd'hui plus d'un tiers de ses revenus publicitaires sur l'IP TV. «Plus de 50% de l'inventaire est vu sur l'IP TV. Nous sommes les seuls à avoir su monétiser aussi rapidement la télé enrichie. Du coup, nous sommes en train de réfléchir à une nouvelle manière de commercialiser nos offres vidéos», soutient Nicolas Thorin, directeur de la régie publicitaire Internet de M6 Web.

La consolidation de la richesse éditoriale passe notamment par le développement d'expertises vidéo (lire aussi page xx). Un an après le rachat de Myspace, la vidéo représenterait aujourd'hui un quart du business de Specific Media. Le rachat de Smartclip, première régie vidéo d'Europe, a propulsé Adconion Media Group à la 3e place des régies vidéo dans le monde après You Tube et Hulu. «En France, Smartclip propose déjà plus de 20 millions de visiteurs uniques et 200 millions de pré-rolls mensuels sur des marques médias et des sites affinitaires», lance Stéphane Ambrosini, directeur général d'Adconion Media Group France.

Yahoo vient de son côté de lancer Yahoo Video Ad Network, combinaison des contenus vidéo originaux produits par Yahoo et de ceux offerts par la plate-forme de vidéos musicales VEVO qui comprend 85% du catalogue mondial. «Cela nous positionne en première place avec 8,4 millions de vidéonautes, 233 millions de vidéos vues par mois et une capacité unique de ciblage socio-démographique et par programme», avance Brigitte Cantaloube.

 

Sous-papier

 

Quatre axes stratégiques pour les régies

 

Une étude de SRI et Smart Side dégage quatre types de positionnement pour les régies digitales.
1. Les analystes. Avec la montée en puissance des adexchanges, les plateformes d'invendus et d'inventaires premiums devraient devenir des acteurs obligés du marché. Les régies qui se positionneront sur ce terrain devront accompagner les annonceurs dans leurs achats, en fonction de leurs besoins marketing et non plus en fonction de profils de cibles. Elles seront capables de modéliser des systèmes d'achats média en fonction des objectifs business des annonceurs et des besoins des cibles.
2. Les annonceurs traders. Certains annonceurs sont aujourd'hui en mesure de se passer de régies et d'agences pour agréger et animer des cibles utiles. A terme, ils seront capables d'agréger et de valoriser leur propres "écuries" d'internautes, pour peu qu'ils se dotent des compétences adaptées.
3. Les éditeurs programmateurs. Adossées à des éditeurs producteurs de contenus originaux, propriétaires et mobilisateurs de cibles de masse, ces régies apporteront une compétence de dispatcheurs de contenus en fonction des supports, dans une logique de rentabilisation par l'optimisation des audiences.
4. Les conversationnels. Exploitant le savoir-faire de conversation des plates-formes auxquelles elles seront associées, ces régies créeront pour les marques des contenus ad hoc. Elles agrégeront des cibles de toute taille et les feront converser par affinité pour les préparer à l'achat.

 

Encadré

 

Un marché voué à composer avec une croissance au ralenti

 

Dans une étude sur «le marché de l'e-publicité à l'horizon 2015», Xerfi-Precepta anticipe une croissance 2012 du marché publicitaire à 0,5% (versus +1,5% en 2011) et une hausse annuelle moyenne de 1,7% sur la période 2013-2015. Dans un tel contexte, l'e-pub gagnera bien sûr des parts de marché sur les médias traditionnels, mais sa progression devrait ralentir, avec un taux de croissance annuel moyen de 7,4% entre 2011 et 2015. Xerfi-Precepta identifie quatre niches de croissance pour les régies digitales. Premièrement, la publicité vidéo, qui devrait représenter près de 160 millions d'euros en 2015 (contre à peine 12 millions en 2009). Deuxièmement, les réseaux sociaux, qui accapareront un peu plus de 300 millions d'euros de dépenses publicitaires (contre 90 millions d'euros en 2011), affichant une croissance annuelle moyenne de 36% entre 2011 et 2015. Troisièmement, le marketing mobile, que Xerfi-Precepta évalue à 85 millions d'euros en 2015 (37 millions en 2011), en croissance annuelle moyenne de 23% d'ici 2015. Enfin, le couponing, estimé à 32 millions d'euros à l'horizon 2015 (24 millions en 2011).

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