Dimanche 1er janvier 2012, au menu de Zone interdite sur M6, un docu-réalité mettant en scène des mères de famille guidées par le grand chef Alain Ducasse pour décrocher leur CAP de cuisine, avec à la clé un CDI dans un de ses restaurants. Une opération séduction dans l'air du temps... Ces dernières années, une poignée de chefs cuisiniers de haut vol, à la tête de sociétés florissantes, ont montré en effet qu'ils maîtrisaient également à la perfection les recettes de la communication. La gastronomie est branchée, et de nouveaux formats d'émissions culinaires mâtinées de télé-réalité la rendent accessible au plus grand nombre.
Aujourd'hui, beaucoup de vedettes des fourneaux font l'objet d'articles en presse spécialisée ou écrivent des recettes pour des magazines. La plupart ont au moins une attachée de presse pour gérer leur présence dans les médias. Logique : ces chefs cuisiniers sont aussi des chefs d'entreprise. «Contrairement aux chefs dans des hôtels abrités par des investisseurs, ceux-ci ont une entreprise à gérer, à rendre visible», souligne Sandrine Giacobetti, rédactrice en chef de Elle à table.
Ce rapport assumé à la télé et aux médias est parfaitement intégré par la nouvelle génération. A l'instar de Cyril Lignac, 34 ans, passé par chez Alain Passard, et pendant deux ans à La Suite, restaurant alors tenu par le couple Guetta (pratique pour enrichir son carnet d'adresses). En 2005, il ouvre son premier restaurant gastronomique, Le Quinzième et anime sa première émission de télé-réalité, Oui chef!. «J'y ai alors participé afin d'ouvrir mon premier restaurant, puis j'ai été pris dans un engrenage positif, avec plusieurs propositions de M6», explique-t-il. La télé: un business complémentaire pour le chef, qui a ouvert en 2010 sa société de production, Kitchen Factory, pour vendre ses propres émissions à M6.
A l'inverse, Alain Passard, 56 ans, trois étoiles au guide Michelin depuis 1996, gère sa présence dans les médias avec parcimonie. Le discret patron de L'Arpège, chantre des légumes anciens, entre topinambours et panais, a certes été «portraitisé» dans Envoyé Spécial en 2009. Mais de là à s'essayer à la télé-réalité culinaire... «Il faut aimer les plateaux, je ne suis pas à l'aise dans ce genre d'exercice», avoue-t-il.
Le patron de L'Arpège est de fait moins sensible aux sirènes du marketing. A la tête de sa holding de 80 salariés, Cyril Lignac, lui, gère sans complexes ses restaurants, ses activités d'édition (une quarantaine de livres de recettes), de production (avec le magazine bimestriel Cuisine by Cyril Lignac) et de produits dérivés (un jeu vidéo pour Nintendo DS sorti fin 2009), sans oublier la gestion de son nouvel atelier de cuisine ou encore ses partenariats avec les marques Hot Point (appareils électroménagers) et Laguiole, régulièrement affichées dans ses émissions.
Alain Passard a décliné toutes les offres de produits dérivés. Seules exceptions: la création d'une ligne de couverts pour Christofle et, bientôt peut-être, la commercialisation de sa célèbre tarte aux pommes «Bouquet de roses». Pas d'école de cuisine dans sa besace, mais en revanche il n'hésite pas à se déplacer à l'autre bout du monde pour de très rentables dîners commandés par de riches particuliers. Les livres? «Les éditeurs m'ont couru après, j'ai toujours décliné», s'amuse-t-il. Mais il s'est offert quelques jolis coups : un livre de recettes pour enfants, un livre de collages et recettes et, au printemps 2011, une bande dessinée, A table avec Alain Passard, signée par un des auteurs de BD les plus en vogue, Christophe Blain. Le résultat: un album inclassable, entre récit culinaire et recettes. L'air de rien, finalement, un beau coup marketing.