Cette semaine-là, Garance Doré est à la Fashion Week. Elle n'est ni créatrice, ni mannequin, ni même journaliste. Mais elle est cinquième au classement des blogs de mode les plus influents du monde. Ancienne illustratrice dans différents magazines, elle regrettait le «manque de communication avec ses lecteurs». Pour elle, être reliée à un site d'information serait une «confusion des genres». «Je souhaite rester libre», affirme-t-elle. Un partenariat qui ne lui manque pas: avec 80 000 visiteurs par jour, elle est régulièrement citée par Vogue, Libération ou le New York Times.
La mode, c'est le sujet fétiche des blogueuses à succès. Et aucune d'elles ne souhaite intégrer un site de presse. «Les blogs n'y sont pas assez visibles. En plus, les blogs féminins y sont minoritaires, donc décrédibilisés», explique l'une d'elles. Même désir d'indépendance chez les blogueuses de cuisine, comme Supertoinette (39 000 visiteurs quotidiens), ou de maquillage, comme monblogdefille.com. Autre raison, essentiellement pragmatique: pour «CC», blogueuse politique, les sujets féminins sont rentables. «Les blogueuses de mode sont souvent sponsorisées par des marques. Les blogs de cuisine reçoivent des produits, les blogueuses de littérature ont des contrats avec des maisons d'édition», explique-t-elle. Des sponsorings qui ne sont pas forcément en accord avec une ligne éditoriale, et sont souvent impossibles – à titre personnel – sur des sites de presse.
Pour écrire un blog de femme à succès, écrivez sur… les femmes! Les sujets plus éloignés de la sphère spécifiquement féminine, comme la politique ou l'économie, sont loin d'être aussi rentables. Pire: quel que soit le sujet abordé, l'audience masculine ne serait jamais au rendez-vous. Selon Olympe, blogueuse féministe, on retrouverait dans la blogosphère le fameux plafond de verre propre à l'entreprise. «Les hommes, en général, ne s'intéressent pas aux blogs tenus par des femmes de la société civile», analyse-t-elle. Encore une raison qui pourrait expliquer la rareté des blogs féminins sur les sites d'information, fort d'une audience majoritairement masculine.
Cantonnées aux rubriques loisirs?
Impossible, donc, d'être une blogueuse politique ou économique et d'avoir du succès? Marlène Schiappa prouve le contraire. À l'origine, cette jeune mère tenait une chronique de conseils aux consommateurs, Écotidien, sur le site d'actualités de Yahoo. Elle est aujourd'hui rédactrice en chef du blog du même nom, qui a signé un partenariat avec E.Leclerc, et compte plus de 10 000 visiteurs par jour. A ses débuts, pourtant, elle a été victime d'une audience hostile. «J'ai mis quasiment un an à m'imposer sur Écotidien. Les articles non signés ne posent pas de problèmes. Ceux avec un nom de fille attiraient des critiques extrêmement virulentes, du genre “retourne aux couches et aux biberons”.» Marlène Schiappa a depuis créé Mamantravaille.fr et Politicia, un blog de réflexion politique. Elle reste une exception. Pour l'instant, les seuls blogs féminins qui ne parlent pas de mode ou de cuisine et qui génèrent une véritable audience sont plutôt tenus par des femmes politiques, ou des actrices du milieu économique.
Pour Europasionaria, blogueuse de politique européenne, cette prétendue misogynie de la Toile n'est pas étonnante. «Cela ne fait que refléter la sous-représentation des femmes dans d'autres lieux de pouvoir, comme le travail ou la politique.» Quand la blogosphère donne la température de la société civile.
encadré
Atours pour sites d'information
Pour s'attirer un lectorat considéré comme minoritaire sur leur créneau, les sites de presse d'actualité, notamment, multiplient les partenariats avec les blogs féminins. Sur lefigaro.fr, plus de cinquante blogs «invités» font partie du contenu. Une douzaine sont alimentés par des femmes. Sujets abordés: mode, cuisine et culture. À lexpress.fr, où l'on trouve Géraldine Dormoy, Isabelle Thomas, Émilie Cailleau ou Nathalie Chahine, sur des sujets généralement féminins, la même tendance se retrouve. Dans les faits, la stratégie n'est pas toujours payante car les blogueuses qui parlent féminité n'attirent que peu les femmes sur les sites d'actualité.