À Levallois, dans la banlieue parisenne, au siège d'Australie, le canapé en cuir de la salle d'attente jouxte une vitrine truffée de prix créatifs qui récompensent le parcours de la deuxième agence de publicité indépendante française (cf. page 29). L'enseigne a pourtant passé la plus grande partie de son existence sans être indépendante. Elle a en effet vu le jour en 1984 à Neuilly-sur-Seine au sein du groupe Bélier, dans lequel Vincent Leclabart venait de passer cinq ans au sein de l'agence institutionnelle INF 14. «Je suis allé voir Claude Douce, PDG de Bélier, pour lui faire part de mon projet de créer une enseigne au sein du groupe, confie le fondateur d'Australie. Aujourd'hui, il ne reste aucune agence du groupe Bélier, à part la nôtre.»
Au départ, Vincent Leclabart possédait 36% du capital de l'agence, donc la minorité de blocage. «Cela me permettait notamment de ne pas être fusionné contre mon gré», remarque-t-il. L'agence récolte des budgets d'annonceurs concurrents de ceux de Bélier, mais aussi de mécontents de ce dernier. «Involontairement, le groupe nous a aidés, s'amuse-t-il. Dans mon esprit, nous étions déjà très autonomes.» Après la reprise de l'agence Robert & Partners en 1992, Australie engrange des budgets importants, comme Cegetel et EDF, et change de statut aux yeux des clients. «Le marché y a vu un signe fort», note Vincent Leclabart.
Sur proposition de Jacques Séguéla, vice-président d'Euro RSCG, le patron d'Australie accepte en 2000 de fusionner avec Euro RSCG Works, puis avec Euro RSCG 27. Deux tentatives de rapprochement avortées en raison de valses-hésitations dues à des jeux de pouvoir et à des relations conflictuelles. «J'ai finalement dit à Alain de Pouzilhac [PDG d'Havas à l'époque] que je voulais partir du groupe, raconte Vincent Leclabart. L'une des motivations de ma démarche entrepreneuriale est justement de ne plus avoir à gérer ces luttes d'influence propres aux grands groupes. Je veux disposer d'une réelle liberté d'action.»
Le passage à l'indépendance s'effectue le jour du réveillon de 2001, dans un bureau réunissant Alain Cayzac, vice-président d'Havas, Alain de Pouzilhac et Vincent Leclabart. Le contexte est plutôt favorable à Australie: Havas sort en effet d'une série d'achats coûteux et a besoin de liquidités. Le prix de l'indépendance s'élèvera à 40 millions de francs (6,1 millions d'euros environ). «Mes associés et moi-même avons racheté Australie avec l'aide d'un banquier courageux», se félicite Vincent Leclabart, qui avait toutefois prix contact avec WPP et Leo Burnett au cas où. «À mon sens, l'indépendance se traduit par une maîtrise totale de la conduite de l'agence, peu importe l'origine du capital, considère-t-il. Mais lorsque j'ai lu le Policy Book de WPP, je n'ai pas voulu signer.» Dans le sillage d'Australie, les agences Ailleurs exactement et Enjoy sortiront également du giron d'Havas, même si la deuxième y retournera lors de la création de H. «L'histoire d'Australie est un cas particulier, car les groupes latins n'aiment généralement pas vendre, par une sorte de réflexe presque patriarcal», conclut Vincent Leclabart.