La France compte 35 millions d'utilisateurs de vidéo en ligne, selon l'institut Comscore. Avec 6 milliards de flux vidéo par mois et une durée moyenne de 12 heures par utilisateur mensuellement, la vidéo s'est installée comme un mastodonte de l'audience en ligne.
Si les géants de l'image en ligne restent sans conteste les plates-formes de partage You Tube et Dailymotion, qui totalisent respectivement 16,7 millions et 8,7 millions de visiteurs uniques par mois, les médias ont bien compris l'intérêt de la vidéo premium. Car les offres de «catch-up» TV (télévision de rattrapage) et les contenus éditoriaux des sites de médias en ligne restent les meilleures opportunités publicitaires, selon une récente étude de Group M. Plébiscitée pour son efficacité, la vidéo s'invite désormais non seulement sur les sites des chaînes de télévision, mais également dans tous les médias. Presse, radio et «pure players» de l'information multiplient les contenus vidéo pour dynamiser leur audience et leurs recettes publicitaires.
«La publicité vidéo sera le format le plus dynamique du marché de la publicité en ligne dans les prochaines années», estime d'ailleurs l'Idate dans une récente étude sur le marché mondial de la publicité en ligne. Les revenus des sites de vidéo en ligne devraient croître de plus de 54%, captant ainsi 13% du marché publicitaire sur Internet en 2014, ce qui représenterait plus de 11 milliards d'euros. De belles perspectives donc, renforcées par une bonne acceptation de la publicité par les internautes. En effet, 56% des utilisateurs de streaming (lecture directe sans téléchargement) sont prêts à regarder des publicités pour visionner des vidéos gratuitement et 54% des consommateurs de vidéo en ligne ont déjà regardé une vidéo avec publicité.
Selon une étude récente de Canal+ Régie, l'impact d'une campagne publicitaire sur la vidéo en ligne utilisée en complément d'une campagne globale génère 15% de mémorisation supplémentaire. «C'est un chiffre révélateur de l'efficacité des campagnes Web, car, généralement, le budget que les annonceurs consacrent au média Internet est bien inférieur à 15%», relève Yann Crouan, directeur marketing de Canal+ Régie. Plus performant encore, le format pre-roll, qui insère une publicité au début de la vidéo, porte le taux de mémorisation à 23%. Analyse de Group M: «Les vidéos en pre-roll affichent logiquement des taux et des durées de lecture très supérieurs à la moyenne, car elles sont généralement en auto-lecture et non “zappable”.»
Toutes les chaînes s'y sont mises…
Pour l'ensemble des chaînes françaises, la vidéo en ligne est d'ores et déjà devenue une évidence et un relais de croissance efficace. La quasi-totalité des programmes sont rediffusés, à l'exception des films et parfois de séries américaines ou d'événements sportifs, dont les droits de rediffusion peuvent être plus difficile à négocier.
Avec 4,5 millions de visiteurs uniques par mois et 20 millions de vidéos vues, Canal+ a choisi de commercialiser sa publicité en fonction du temps passé. «Son site ne comporte pas beaucoup de pages, mais l'internaute peut passer de 20 à 30 minutes sur une vidéo», témoigne Yann Crouan. Une stratégie publicitaire lancée en février 2009 après la relance éditoriale du site. Résultat, le chiffre d'affaires a crû de 60% cette année-là et poursuit sa forte progression en 2010. «Aujourd'hui, nous vendons le contact d'un internaute au moins aussi cher qu'un contact qualifié sur l'antenne, car sur le site, il y a un annonceur exclusif par vidéo, ce qui n'est pas le cas à l'antenne», affirme Yann Crouan.
La stratégie de l'annonceur unique se retrouve également chez France Télévisions. «Nous avons choisi de réserver chaque vidéo à un annonceur exclusif, même pour les formats longs», explique Olivier Douffiagues, directeur commercial adjoint chez France Télévisions Publicité. Une stratégie qui semble porter ses fruits. «Avec une hausse du chiffre d'affaires des activités numériques de 50% en un an, la vidéo représente aujourd'hui 30% de ces recettes, contre 10% il y a seulement dix-huit mois», ajoute Olivier Douffiagues. Avec son portail Pluzz, lancé en juillet 2010, qui regroupe les services de catch-up TV pour l'ensemble des chaînes du service public, ce sont près de 72 heures de programmes qui sot mis en ligne chaque jour, dont les meilleures audience restent les succès traditionnels des antennes, comme la série Plus Belle la vie.
Constat identique chez M6 Replay. «D'une manière générale, les succès d'Internet sont les mêmes que ceux d'antenne, notamment les diffusions en ligne de séries ou de programmes événements, telle La Nouvelle Star», détaille Nicolas Thorin, directeur de la régie publicitaire de M6 Web. Il y a un an, la chaîne a également lancé un site afin de garder en ligne ses archives, qui ne restent que pour une durée limitée à une ou deux semaines sur M6 Replay. Un moyen pour la chaîne d'augmenter son inventaire. «Nous avons plus que doublé notre chiffre d'affaires publicitaire en deux ans, affirme Nicolas Thorin. Mais cela reste un véritable challenge de monétiser. Car, sur Internet, les coûts de bande passante grimpent en fonction de la diffusion. Et ils ne sont pas négligeables», détaille-il.
Chez TF1, où l'offre vidéo a été refondue en avril 2009, on développe également des vidéos exclusivement pour le site via des programmes comme Secret Story, qui bénéficient ainsi d'une diffusion 24 heures sur 24. «L'audience des programmes sur le site peut représenter entre 15% de l'audience globale pour une émission comme Masterchef et 30% pour Secret Story», explique Olivier Abécassis, directeur général adjoint de TF1 chargé des produits Web et mobiles. TF1 a enregistré une progression de 70% de son audience en 2010, avec 100 millions de vidéos vues par mois, pendant que ses revenus publicitaires bondissaient de 250%. Un envol qui a permis à la publicité en ligne de peser plus lourd dans le chiffre d'affaires que TF1 Vision, le site de vidéo à la demande de la chaîne.
… et la presse n'est pas en reste
Mais les chaînes ne sont pas les seules à profiter de cette expansion. Ainsi, au Figaro, l'offre vidéo a été lancée dès mai 2008 avec le Talk Orange-Le Figaro, qui propose chaque jour une interview d'une personnalité politique. «Nous avons développé une gamme d'émissions vidéo sur le site du Figaro, quotidienne, comme le Buzz Média, ou hebdomadaire, à l'image de la chronique vin ou de l'émission people de TV magazine», détaille Bertrand Gié, directeur délégué des nouveaux médias du groupe Figaro. Le quotidien est également équipé d'un studio afin d'enregistrer de courtes interviews sur l'actualité du moment. Le groupe enregistre ainsi entre 1 et 2 millions de vidéos vues par mois. «Nous allons accélérer le développement de la vidéo sur le site dans l'année à venir, notamment vers le mobile. Et nous pensons à mettre en place une équipe de deux journalistes exclusivement pour la vidéo», explique Bertrand Gié.
Mais le choix de la vidéo dans l'économie encore fragile d'un site Internet reste un investissement important. Pour LeMonde interactif, «si le développement de la vidéo reste un axe de développement, elle doit avant tout conserver sa valeur informative et se justifier», explique Philippe Janet, son PDG. Le quotidien a d'ailleurs lancé l'année dernière un journal télévisé quotidien baptisé 60 Secondes, en partenariat avec Dailymotion, diffusé à 13 heures sur les deux sites.
Chez Lagardère Active, le pari de la vidéo se décline avant tout sur l'Ipad. «Nous produisons un certain nombre de vidéos pour notre magazine Paris Match, mais elles sont réservées à l'application Ipad, qui est un écosystème payant, alors que le site, lui, est entièrement gratuit», explique Laurent Guimier, directeur général adjoint éditorial de Newsweb (jdd.fr, europe1.fr et parismatch.com).
«Les sites éditoriaux ont généralement confié la commercialisation de leur offre vidéo à des régies externes spécialisées, comme Advideum», explique Matthieu Barbé, directeur «business intelligence» de Group M Interaction. Advideum propose ainsi une offre de 40 millions de vidéos vues par mois, principalement autour des sites de médias tels que L'Express, Le Nouvel Observateur, Le Figaro, Le Monde ou encore Le Parisien. «C'est un choix judicieux de regrouper ces offres vidéo. Car les éditeurs en ligne proposent des contenus vidéo professionnels portés par des marques reconnues. Mais individuellement, leur offre reste insuffisante en termes de volume», analyse Matthieu Barbé.
Encadré
Médiamétrie va mesurer le temps passé sur la vidéo en ligne
Médiamétrie lance un service de mesure des flux vidéo, qui s'appuiera à la fois sur une mesure «user centric» (centrée sur l'utilisateur) et «site centric» (centrée sur les sites Web). Dans un premier temps, l'institut proposera la mesure du nombre de visiteurs uniques et de leurs profils, ainsi que du nombre de flux. Dans un second temps, Médiamétrie y ajoutera le temps passé. Les premiers résultats devraient sortir début 2011.
Sous-papier
La radio se met à l'image
Et si l'avenir de la radio rimait finalement avec vidéo? BFM Business, la nouvelle chaîne du groupe Next Radio TV consacrée à l'économie et à la finance, a été lancée le 22 novembre sur la TNT ainsi que dans les bouquets satellites. Son concept est simple: reprendre les programmes filmés de BFM Radio. Une opération qui devrait permettre à BFM Business de fonctionner pour un coût annuel de seulement de 2 à 3 millions d'euros et d'arriver à l'équilibre dès 2011.
Filmer la radio, la démarche n'est pas nouvelle. Aujourd'hui, la majorité des stations ont compris l'intérêt de la vidéo et déclinent leurs émissions à l'écran sur leurs sites Internet. En ajoutant l'image au son, elles s'assurent un meilleur référencement sur les moteurs de recherche et une audience plus diversifiée.
Si, chez le leader RTL, la stratégie reste tournée vers le son, qui représente 95% des contenus du site, la maison de la rue Bayard a tout de même équipé ses studios de caméras vidéo et rediffuse certains extraits sur son site. Même principe chez France Inter, qui a ouvert une chaîne sur la plate-forme Dailymotion.
«La production des vidéos n'est pas coûteuse pour une station de radio. Sur Europe 1, nous en produisons entre quinze et vingt par jour, explique Laurent Guimier, directeur général adjoint de Newsweb. Aujourd'hui, sur les sites de radio, on ne trouve presque plus de simples sons, à l'exception du direct. Le son s'écoute mieux en image», ajoute-t-il.