Le président de Digitas International, Stephan Beringer, remplace Stéphane Amis à la présidence de Digitas et de Duke Razorfish en France. Il détaille sa vision du marché du numérique.

Stephan Beringer, quarante-sept ans, président de Digitas International depuis 2009, a repris la présidence de Digitas France et de Duke Razorfish (Publicis Groupe) après le départ de Stéphane Amis pour la présidence de Fullsix en France. Membre fondateur de Tribal DDB en 2001 et ancien «chief strategy officer» responsable d'une vingtaine d'agences sur la région Europe, Moyen-Orient et Afrique, il a passé quinze ans chez Omnicom. Il livre à Stratégies sa vision du marché et de ses enjeux, nourrie de cette expérience internationale.

 

Entre Londres et Paris, vous allez diriger Digitas France et Duke. Pourquoi un président pour deux agences? 

Stephan Beringer. Le principe de «double door agency» vise à proposer deux offres distinctes sur la base d'un maximum de synergies dans le back office, mais surtout dans les services mutualisés comme la production et la technologie. Pour Digitas, il s'agit de construire l'agence de marketing intégrée de «next generation» et pour Duke Razorfish, de faire évoluer son positionnement créatif vers l'idée d'expériences innovantes pour le client. Chacune possède ce qui fait les grandes agences: des talents et de très belles marques comme clients, à savoir Nissan, Lancôme ou Nestlé pour Digitas, McDonald's, Nike ou Levis pour Duke qui, malgré les perturbations qu'elle a connues, n'a perdu aucun de ses budgets. Ma priorité pour ces agences que je connais déjà – depuis un an, je passe deux jours par semaine à Paris – est de leur permettre d'affirmer leur personnalité respective en leur donnant toute leur place au sein de Vivaki.

 

Justement, comment travaillez-vous avec Vivaki? Ce n'est pas très lisible…

S.B. Vivaki est une alliance composée, en France, des marques du groupe Publicis dans les médias (Zenith-Optimedia et Starcom) et des marques «digitales» (Digitas et Duke Razorfish), ainsi que de Performics, la structure d'expertise et d'achat spécialisée dans l'implémentation de tous les canaux numériques. L'idée centrale de Vivaki est de mettre à la disposition des clients de chacune de ces marques l'ensemble de nos ressources. Notre modèle de rapprochement entre agences médias et agences digitales me paraît une bonne solution. L'un des enjeux principaux est de repenser pour les marques la valorisation de leur client au-delà de sa valeur transactionnelle (combien il achète par an), qui est une approche «mass media» dépassée. Aujourd'hui, les individus sont acheteurs et influenceurs. Notre mission avec Vivaki est de construire une méthodologie économétrique pour cibler en temps réel ces individus multidimensionnels. En clair, sélectionner les bons points de contact numériques et les synchroniser avec les traditionnels.

 

Comment expliquez-vous aux clients la différence, au sein du groupe Publicis, entre Digitas, Duke Razorfish, Publicis Modem et Publicis Net?

S.B. Deux modèles coexistent sur le marché et le groupe Publicis offre cette palette à ses clients: celui des «pure players» (Digitas et Duke Razorfish en ce qui nous concerne) et celui des agences digitales intégrées au sein des agences de publicité, et c'est le cas pour Publicis Net et Publicis Modem, mises au cœur de Publicis Conseil. Notre proximité avec les agences médias et la possibilité offerte à nos clients d'optimiser l'ensemble des points de contact numériques et analogiques nous distinguent de Publicis Net et Modem, l'une plus publicitaire et l'autre plus relationnelle.

 

Qui va gagner entre les «pure players» et les groupes de communication qui migrent vers le numérique?

S.B. Que le meilleur gagne! Le jeu reste très ouvert en France, où il ne reste que très peu de grandes agences «digital-centric». Aujourd'hui, sur le papier, les grandes agences interactives françaises et les groupes de communication cherchent à faire la même chose, à savoir réussir le modèle de l'agence intégrée en France. Avouons qu'il y a un certain retard par rapport aux marchés anglo-saxons, où quelques étoiles digitales brillent fortement dans le ciel de l'intégration marketing, raflent les récompenses et attirent les grandes marques innovantes.

 

Le marché français est-il, comme on l'entend souvent, en retard?

S.B. La réponse est forcément nuancée. Oui, si l'on regarde les investissements ou la capacité des grands groupes et de leurs agences à sortir des sentiers battus pour réussir à produire des campagnes et des services exploitant pleinement le potentiel du nouveau Web. Non, si l'on regarde la création, la qualité de la réflexion et des experts en numérique. Ici, on invente, on innove, mais ça ne se développe pas forcément à grande échelle (Duke Razorfish est ainsi pionnière dans le lancement d'un modèle de «distributed content» pour le Comité olympique international). La France est un extraordinaire laboratoire des nouveaux usages pour le reste du monde, ultraconnecté, avec des consommateurs incroyablement éduqués et créatifs.

 

Qu'ont les agences françaises à apprendre des marchés anglais et américain?

S.B. Évidemment beaucoup, sans pour autant les singer. Renforcer par exemple l'amont, la stratégie, la capacité à exploiter les énormes gisements de données qui sont franchement inexploités. Apprendre au client comment maîtriser l'innovation numérique, comment faire émerger les choses. Cela passe notamment par des enjeux de gouvernance digitale. Apprendre aussi à créer et faire fonctionner de vraies équipes pluridisciplinaires et travailler plus étroitement avec les grands acteurs qui font le Web d'aujourd'hui. Apprendre enfin à penser «big» et à oser parfois avoir un rapport plus entrepreneurial avec les clients, même les plus gros.

 

Quels sont les enjeux actuels?

S.B. Le nerf du marketing devient le «brand content», quelles que soient ses formes et la façon dont les agences sont capables de penser ce que nous appelons chez Vivaki «l'audience design», à savoir l'interaction entre les points de distribution du contenu (média social, événement, écrans outdoor, viralisation, mobile, tactile) et l'adaptation du concept de contenu à tous ces points de distribution. L'autre sujet du moment c'est, on l'a dit, «l'integrated marketing» qui conduit chez nous le planning stratégique à travailler avec les équipes de «media strategy» et de «connection planning», et pour nos directeurs de création à penser en mode «channel-neutral». Croyez-moi, c'est un effort intensif et l'agence qui aura le plus d'agilité à travailler en mode intégré sera en bonne position pour prendre la tête de ce «next generation marketing».

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