«La vidéo en ligne, une opportunité à saisir maintenant ou jamais.» Tel pourrait être le cri de ralliement des médias traditionnels, pourtant bien plus frileux lorsqu'il avait fallu se positionner sur le Web. «Oui, mais avec la vidéo, tout concorde pour que personne n'ai d'hésitation à s'impliquer: produire des vidéos coûte bien moins cher qu'il y a quelques années et, surtout, le produit est largement monétisable.» Ce constat de Thomas Kouck, éditeur du pôle entertainment et musique chez Lagardère Active, tous les médias l'ont fait. Et sont passés à l'acte. Avec un objectif final clair: doper l'audience de leurs sites Web.
«Mais la donne est évidemment différente entre les médias qui ont la vidéo dans leur ADN et les autres», lance Jean-Pascal Mathieu, vice-président de l'agence Nurun. Les chaînes de télévision, TF1 et M6 en tête, ont en effet transformé l'essai grâce à la télévision de rattrapage. Un milliard et demi de vidéos vues sur tf1.fr en 2009, dont 400 millions de «catch-up»; 500 millions de vidéos vues sur m6.fr, dont 150 millions en «replay».
«C'est par la catch-up que l'internaute vient sur notre site, d'autant que W9 a aussi son offre de rattrapage depuis octobre 2009», dit Christian Bombrun, directeur général adjoint de M6 Web. Une manière de l'entraîner ensuite sur la VOD payante et sur la trentaine de vidéos originales produites chaque mois. «Ce qui attire de l'audience, ce sont les extraits inédits d'émissions comme Pékin Express ou La Nouvelle Star», poursuit-il.
Chez TF1, on a mesuré que pour certaines séries, les internautes restent plus de 25 minutes devant leur écran d'ordinateur. «Un vrai engagement», lance Olivier Abecassis, directeur général de Wat.tv et directeur général adjoint d'E-TF1.
Le Web, l'Iphone et bientôt l'Ipad
De l'audience, donc, le tout sans dépenses ou presque – les vidéos du site sont produites par les équipes «digitales» ou celles de production –, mais des revenus publicitaires en plus: 100% des vidéos du site de M6 sont ainsi monétisées.
«Sur un programme de catch-up, il peut même y avoir deux “pre-rolls”, et quatre à six coupures par vidéo», poursuit Christian Bombrun. «C'est un revenu publicitaire qui reste à la marge, mais sur lequel il faut miser», indique Olivier Abecassis. Surtout quand on sait que la Une a atteint en mai son niveau d'audience le plus bas. En tout cas, plus personne n'élabore un programme sans penser son pendant Web…, sa compatibilité avec l'Iphone et bientôt l'Ipad, prochains enjeux pour la catch-up.
Les chaînes de télévision ne sont pas les seules concernées. La catch-up concerne aussi la radio. Trente millions de vidéos ont déjà été vues sur les sites de Radio France. «Ce qui fonctionne le mieux, ce sont les moments fort de l'antenne, comme les invités de Pascal Clark ou les chroniques de Stéphane Guillon, dit Julien Pauchet, directeur délégué à la modernisation du groupe public. Les internautes nous attendent surtout sur ce qu'on sait faire.»
Ces vidéos d'émissions permettent aussi de créer un buzz sur le Net, «le You Tube de la radio n'existant pas encore», dit Julien Pauchet. Jamais les émissions de Radio France n'ont tant circulé. Idem pour Europe 1, avec les vidéos des chroniques de Nicolas Canteloup, «qui font désormais partie de l'ADN du site», dit Thomas Kouck, de Lagardère Active.
La presse est aussi de la partie. Sur le portail premiere.fr, la réponse à la culture de «snacking» de l'internaute est de proposant des formats courts. Ce qui plaît? Le cinéma et le people. «Quand Avatar sort et que la bande-annonce arrive sur notre portail, l'audience double en une journée. Sur le site de Télé 7 jours, une interview exclusive de Miss France a fait tripler l'audience», détaille Thomas Kouck. Là aussi, 100% des vidéos du site sont monétisées: «Le format “pre-roll” attire soit des annonceurs déjà présents sur le Web, soit des habitués de la télévision, qui peuvent réutiliser leur création. Le coût pour mille est de vingt euros.»
Multiplier les partenariats
La monétisation de vidéos s'avère plus complexe pour les sites de quotidiens. Plus difficile aussi de trouver une identité vidéo. «Il y a quelques années, nous avons fait construire un studio de télévision dernier cri, qui a coûté environ 300 000 euros, sans trop savoir ce qu'on allait en faire», raconte Bertrand Gie, directeur des nouveaux médias au Figaro. Aujourd'hui, il est utilisé à 80%, un peu à la façon d'une chaîne de news. Deux émissions quotidiennes y sont tournées: le talk, en partenariat avec Orange, et le buzz média. Les deux sont; sponsorisées. Le groupe produit aussi une trentaine de vidéos par semaine (avis d'experts ou de journalistes sur un sujet). Et l'audience dans tout ça? «Cela dépend beaucoup du programme. Un talk avec un invité connu peut être vu par plus de 100 000 internautes. D'autres par quelques milliers.»
Au Monde interactif, on refuse de «reproduire ce que font les chaînes de news». «Nous avons un studio télé, mais l'utilisons peu. Là où notre média peut apporter une plus-value en vidéo, c'est en faisant du web-docu, format mêlant photo, vidéo et texte», pense Philippe Jannet, PDG du Monde interactif. Chaque web-docu est vu entre 200 000 et 500 000 fois.
Lemonde.fr a aussi diffusé en juin le roman feuilleton Muti, en quinze épisodes, une thriller se déroulant en Afrique du Sud. «Au XIXe siècle, les journaux publiaient bien des feuilletons écrits. Pourquoi ne pas le faire aujourd'hui via la vidéo?», propose Philippe Jannet.
Mais ce sont souvent les vidéos pêchées ailleurs sur le Web qui font le buzz sur les sites de presse, comme celle de Brice Hortefeux tenant des propos douteux, publiées il y a quelques mois par lemonde.fr.
D'où l'intérêt de multiplier les partenariats avec chaînes de télévision et radio, à l'image des «pure players», pour ne passer à côté d'aucune image. Le Figaro vient ainsi de signer un accord exclusif avec I-Télé, lui donne accès aux vidéos de la chaîne d'information en continu.
Au risque de moins maîtriser le contenu, les médias papier y voient une manière de drainer du trafic sur leurs sites. «Mais nous sommes toujours vigilant en termes de droit, dit Bertrand Gie. Pour nous, la vidéo n'est pas une fin en soi. C'est juste un outil essentiel pour entretenir l'image globale du site.»
Sous-papier
TV Replay contre M6: la guerre de la «catch-up»
«Nous créons du trafic additionnel pour les chaînes. Nous n'avons donc pas imaginé une seconde qu'il fallait signer un accord avec elles», s'étonne Patrick Suquet, fondateur de TV Replay. M6 a pourtant décidé d'assigner ce moteur de recherche de «catch-up» TV devant la justice, pour «parasitage et contrefaçon».
TV Replay propose depuis 2009 l'ensemble de l'offre de rattrapage TV en ligne, un peu à la manière d'un magazine télé. «Mais nous n'hébergeons aucune vidéo et renvoyons vers les sites des chaînes.» Quand un internaute clique sur TV Replay pour revoir La Nouvelle Star, il tombe directement sur la bonne page du site de M6 et visionne le spot de publicité qui précède l'émission.
Oui, mais ce que reproche la chaîne à TV Replay, c'est le manque à gagner publicitaire car l'internaute ne passe plus par la page d'accueil de m6.fr et échappe à certaines publicités. «TV Replay fonde son activité sur notre business. Cela mérite un accord commercial», affirme Christian Bombrun, directeur général adjoint de M6 Web. «Notre site génère 80 000 visites supplémentaires vers M6 Replay. On est loin du détournement d'audience», se défend Patrick Suquet.
M6 est en tout cas la seule chaîne à être en conflit avec TV Replay. Premier du genre en Europe, le moteur de recherche a attiré près de 700 000 visiteurs uniques en mai (Nielsen), et approche de l'équilibre. Audience le 18 juin.
Sous-papier
La «video in print», un coup sans lendemain?
La «video in print» (VIP), «one shot» ou format d'avenir? A priori, le coup réalisé par Havas Media et Enjeux-Les Échos pour la campagne DS3 de Citroën ne devrait pas devenir la règle.
D'abord pour une question de prix. «L'introduction d'un écran plat LCD dans le magazine a coûté plus de dix euros par exemplaire. C'est pourquoi nous n'en avons tiré que 10 000», explique Jean Minost, expert presse chez Havas Media. D'autant que l'encart chargé de connectique ne peut pas être intégré par un imprimeur classique.
Par ailleurs, la vidéo sur papier reste contre nature. «À l'heure où les sites Web de journaux sont en plein développement, il paraît plus naturel pour un annonceur d'aller directement vers le format électronique.» Certes. Reste que la campagne pour la DS3 a connu une couverture médiatique énorme et que les annonceurs ont été séduits par l'innovation.
«Beaucoup de marques nous interrogent sur ce format depuis, mais craignent que la deuxième ou troisième “video in print” n'ait pas le même retentissement qu'une première en France.» Mais la technologie évolue vite, et le coût de fabrication des écrans LCD pourrait chuter.
«L'idéal serait d'arriver à moins de dix euros par exemplaire», affirme Jean Minost, qui croit davantage à la «video in print» pour un autre contenu que du spot publicité classique. «Les annonceurs pourraient s'en servir pour des formats plus longs, car insérer plus de mémoire dans l'écran ne coûte pas plus cher. Les quotidiens pourraient aussi utiliser la VIP pour illustrer un scoop.»
Aux États-Unis, où la première VIP a été lancée en septembre 209 par CBS et Pepsi dans Entertainment Weekly, l'opération n'a pas encore fait de petits.