En novembre 2009, AOL lançait une identité visuelle d'un genre nouveau signée de l'agence anglaise Wolff Olins: trois lettres blanches, celles de la marque, placées devant une centaine d'images colorées et diverses, œuvres d'artistes internationaux pensées pour s'adapter aux différents supports et prises de parole du groupe.
Quelques semaines plus tard, début 2010, MTV lui emboîtait le pas avec un logo soumis, lui aussi, à variation. Derrière les initiales stylisées de la marque, des images de programmes télévisés donnant un aperçu de la variété des émissions proposées par la chaîne.
D'autres marques, et non des moindres, ont adopté ce système de logos vivants. Notamment IBM qui, en 2009, a modifié son identité, inchangée depuis trente-sept ans. Œuvre de Paul Rand, grand maître américain du graphisme, les trois initiales bleues traversées de barres horizontales sont désormais de couleurs diverses ou placées devant des images de nature, le tout assorti d'une petite planète s'éclairant, comme pour mieux signifier l'adaptation et la diversité d'un groupe mondial œuvrant pour «une planète plus intelligente».
«Le dogme du logo intangible et de la couleur unique est en train de tomber. La tendance des marques caméléons est bel et bien lancée», commente Gilles Deléris. Le directeur de création de l'agence W&Cie, dont il est associé-fondateur, prépare une intervention pour une conférence organisée par l'agence sur cette nouvelle approche qui bouleverse les us et coutumes du secteur. «Pendant longtemps, la couleur a été définie comme le premier signal de la marque. Coca-Cola est rouge, Pepsi est bleu, Chanel est noir, sans parler d'Orange, explique-t-il. L'importance accordée à une couleur unique s'est inscrite dans une logique de conquête: la répétition du même signe marque le territoire conquis. La couleur permet de se différencier des adversaires.»
C'est la grande époque des chartes graphiques, appelées aussi «bibles», un document de référence forcément intouchable. Mais les choses ont changé. Avec l'avènement d'Internet, les identités visuelles se mettent au diapason des évolutions permanentes du Web. Les nouvelles technologies leur offrent un nouveau terrain de jeu. «Elles induisent une obsolescence accélérée, la culture d'une mise à jour perpétuelle», commente Gilles Deléris. Pas étonnant qu'un des précurseurs du design vivant soit Google, dont le logo s'adapte depuis 1999 aux événements sportifs ou calendaires.
Les systèmes d'identité visuelle s'imposent
Aujourd'hui, W&Cie distingue deux grandes familles de marques caméléons: celle des marques existantes, type IBM, qui, à partir d'une identité déjà bien connue lancent une série de déclinaisons pour toucher différentes cibles ou exprimer un nouveau positionnement.
L'autre catégorie, qualifiée de «révolutionnaire», repense des identités de toutes pièces. W&Cie cite le logo de Tata Docomo, marque de téléphonie née en 2008 du rapprochement de l'indien Tata Teleservices et du japonais NTT Docomo: une création, signée encore Wolff Olins, qui mêle couleurs et formes géométriques dans un jeu d'assemblage varié des lettres de son nom. Ou encore l'identité visuelle de Melbourne conçue par l'agence Landor: une belle collection de la lettre «M» adaptée aux différents lieux, publics et événements de la ville australienne.
«Les logos n'ont plus la même fonction qu'autrefois, commente Nicolas Chaumette, président d'Interbrand. Dans les années 1980 et 1990, c'était avant tout des marqueurs qui servaient à l'identification, au repérage dans une logique de pur impact. L'identité visuelle s'est aujourd'hui rapprochée d'une logique de communication. Elle est devenue un moyen d'évoquer la proximité, les promesses, le positionnement, les valeurs de l'entreprise, ses activités ou encore des catégories de produits. La puissance a fait place au sens.»
Ainsi, Pepsi, en repensant son identité visuelle en 2008, a-t-il choisi un logo qui s'adapte à ses différentes boissons: désormais, une bande blanche au centre d'une sphère rouge et bleue symbolise des sourires plus ou moins intenses: petit pour Pepsi Light, grand pour Pepsi Max. Mêmes variations sur un thème du côté de Carrefour, qui a repensé son logo en 2009 avec Publicis. C'est le nom du groupe et son symbole qui varient pour distinguer ses offres, des produits aux magasins. Des palettes de tons en accord avec sa signature «Le positif est de retour» confèrent plus de modernité et de proximité au distributeur.
«Aujourd'hui, nous ne concevons plus des chartes graphiques, mais des systèmes d'identité visuelle, explique Jean-Fabrice Wlody, directeur «branding & interactive» de l'agence Pixelis, qui travaille entre autres pour Système U. Les marques se diversifient, les architectures se font plus complexes, plus vastes. Une charte graphique figée n'a plus de sens. D'où l'idée de trouver dans une marque des éléments constitutifs permanents et d'autres qui peuvent varier, s'adapter.» En l'occurrence, pour ce distributeur, un logo volontairement simple, lisible et à fort impact, un U encerclé dont les couleurs identifient et labellisent produits, magasins, espaces de vente ou engagements de l'enseigne.
Si les logos se font vivants, c'est aussi parce que les marques ont besoin de reconquérir des consommateurs très critiques envers l'hyperconsommation et l'hypermarketing. Elles se spécialisent, adoptent les codes de leurs publics, créent pour eux des produits sur mesure. «Les identités visuelles ne s'adaptent pas seulement aux lieux, mais aussi aux publics auxquels elles s'adressent», commente Gilles Deléris. Et de citer les logos choisis par le candidat Barack Obama lors de l'élection présidentielle américaine: une réinterprétation du drapeau américain dont les nombreuses déclinaisons collaient aux spécificités des communautés ciblées.
«Jamais pareilles, mais toujours les mêmes»
Dans ce contexte, les marques se font moins intrusives, moins agressives. À l'image de McDonald's, dont le logo réduit à une simple arche jaune, repose dorénavant sur un fond vert pour mieux s'intégrer au paysage. Christophe Fillâtre, directeur général de l'agence Carré noir (Publicis Consultants), parle même de «marques qui chuchotent», une tendance appelée à se développer selon lui. De son côté, l'agence Pixelis est de plus en plus sollicitée pour intégrer au mieux les marques à leur environnement. Notamment Coca-Cola, dont le logo doit savoir s'adapter avec discrétion et élégance aux lieux haut de gamme.
Mathilde Lauriau-Tedeschi, présidente de Landor Paris, a noté cette tendance des grandes marques mondiales à concentrer leur identité sur un mot, une typographie, se passant dorénavant de symbole. «À l'heure de la “digitalisation”, du zapping généralisé, la simplicité, l'utilisation d'un signe synthétique, facilement et rapidement décodable devient la clé, le nouveau Graal des marques évoluant dans des environnements toujours plus embouteillés», explique-t-elle. «Mais les marques doivent également développer des histoires, devenir des sujets de conversation pour susciter la curiosité et relancer le désir, ajoute-t-elle. Elles associent donc à ce signe simple et pur un système narratif varié, vivant et s'adaptant à l'ensemble des points de la relation avec ses publics.»
Toutes les marques peuvent-elles se le permettre? «On peut s'amuser avec une identité quand son système identitaire est extrêmement fort et bien implanté. Une marque doit rester un repère, exercer une certaine forme d'autorité», explique Christophe Fillâtre. Ces variations sont-elles des réussites? Beaucoup les critiquent. L'identité visuelle d'AOL est ainsi loin de faire l'unanimité. «Ce logo n'apporte rien. Il ne va pas rester dans les mémoires. C'est un effet de mode qui passera très vite. Rien ne vaut un logo puissant, simple, distinctif que l'on répète à l'infini et qui dure, commente Olivier Saguez, président de Saguez & Partners. Arrêtons de faire du gadget. Plus de 70% des marques ont aujourd'hui des identités difficiles à retenir.»
D'autres font du «design vivant» un credo, le positionnement même de leur agence. Comme Curius, fondée par Pascal Viguier, qui ambitionne de penser les marques comme «des virus qui mutent en fonction de leurs environnements, jamais pareilles, mais toujours les mêmes». Tout en reconnaissant que l'exercice demande une grande maîtrise: «La charte graphique a son rôle, mais elle ne suffit plus. Nous élaborons aujourd'hui des guides de style de marque qui définissent un état d'esprit dépassant le stade des codes graphiques.» Un vrai rêve de créatif.