Dossier

La publicité sur Internet est divisée en deux grandes techniques de commercialisation: le «search marketing» (liens sponsorisés et mots-clés) et la publicité dite «display» (bannières, rich media, vidéos). Le search est dominé par Google, qui englobe 90% du marché français à travers son moteur de recherche et son réseau de sites affiliés Ad Sense. Un leadership que Microsoft et Yahoo comptent bien attaquer dès 2011 avec leur alliance autour du moteur de recherche Bing. Objectif des deux portails: reconquérir des parts de marché sur Google grâce à une «expérience de recherche» différente. Le display, lui, représente un pactole d'un peu moins de 500 millions d'euros net que se disputent près de 150 régies. Décryptage d'un écosystème protéiforme à travers les acteurs qui le composent, leurs spécificités, leurs enjeux et les perspectives. 

 

Les acteurs

Il existe trois grandes familles de régies Internet. Les régies intégrées à un portail de type Yahoo, Orange ou MSN, à des régies médias (Le Monde, TF1) ou de pure player (Auféminin, Allociné). Les régies dites de réseaux ou externes, qui vendent les inventaires de plusieurs sites, comme Adverline, Hi-Media, Horyzon Media (filiale du groupe Pages jaunes), 24/7 Real Media, Weborama, Specific Media ou encore Blog Bang (filiale de Publicis), spécialiste des blogs et de la vidéo. Et enfin les petites structures qui commercialisent un ou deux sites très spécifiques sur un secteur précis (luxe, B to B, etc.). Soit près de 150 régies sur un marché très encombré, même si les 20 membres du Syndicat des régies Internet (SRI) réalisent 80% du volume d'affaires.
«On pense depuis toujours que ce secteur va se concentrer. Pourtant, il se crée des régies tous les jours, et d'autres, comme celle d'AOL, disparaissent», observe Hélène Perez, directrice associée d'Isobar. Le réseau américain a en effet cessé ses activités partout en Europe, à l'exception du Royaume-Uni. Du coup, Philippe Besnard, ex-directeur général d'AOL Advertising, a rejoint Specific Media comme directeur général, tandis qu'une bonne partie de l'équipe de la régie d'AOL a intégré Hi-Media (qui a racheté l'allemand Ad Link Media en septembre 2009).
La photo ne serait pas complète si on oubliait de préciser que les grands portails ont développé en parallèle de leur offre commerciale une stratégie de réseaux. Ainsi, Yahoo vend les espaces de Paru Vendu, Kelkoo, La Poste ou Sport 24. Orange de Via Michelin ou de Sports.fr. Et MSN annonce 300 sites partenaires sur Microsoft Media Network. Ces régies en marque blanche (ou «blind»), c'est-à-dire sans mention d'éditeur, proposent les inventaires invendus ou peu attractifs au prix d'environ 1 euro le coût pour mille, contre 5 à 10 euros pour les emplacements «premium».

 

Les spécificités

Toutes les régies Web n'offrent pas les mêmes services selon la famille à laquelle elles appartiennent. Celles des médias s'appuient sur leurs contenus pour séduire les marques (lire en page XXX). Les régies des portails mettent en avant la puissance de leur page d'accueil, capable de toucher plusieurs millions d'internautes en une journée, et leur capacité à monter des opérations spéciales. «Le sponsoring de blogs par les marques est un axe de développement fort chez Yahoo, décrit Brigitte Cantaloube, directrice générale de Yahoo France. Après Tech You et SFR, ou Écotidien soutenu par E.Leclerc depuis maintenant trois ans, nous venons de lancer avec Coca-Cola Light une chaîne lifestyle, Daily Woman

Chez MSN, qui se présente comme la première régie de display, c'est également la puissance de feu qui est mise en avant. «Avec MSN, Windows Live et Messenger, nous touchons 27 millions d'internautes en France, soit un sur deux», rappelle Anne-Claude Poinso, directrice marketing.
La spécificité d'Hi-Media, première régie indépendante de France et d'Europe selon son PDG Cyril Zimmermann, est sa triple activité: éditeur (20 sites et 55 millions de visiteurs uniques), micropaiement avec Allopass et Hi Pay, et régie en ligne. «Aucun de nos concurrents ne peut, comme nous, dire à un site Internet : Je peux monétiser votre audience par la publicité avec la régie, les micropaiements et organiser des partenariat entre nos sites», détaille Cyril Zimmermann.
Certaines régies offrent une expertise dans les techniques de ciblage comportemental et de reciblage («retargeting»), qui permettent de faire revenir un internaute sur un site. C'est le cas de Weborama, pionnière du ciblage, qui se définit d'ailleurs autant comme une société technologique que comme une régie. «Nous faisons du ciblage sociodémographique depuis 2002 et comportemental depuis 2008. Nous en sommes à la version 3 de nos logiciels Ad Perf Advertiser et Publisher», rappelle Laurence Bonicalzi-Bridier, directrice associée.

Régie publicitaire spécialiste des technologies de ciblage en ligne: c'est ainsi que se présente Specific Media. «Nous achetons des inventaires que nous enrichissons d'informations issues du ciblage comportemental avant de les revendre aux agences médias», explique Nicolas Mignot, directeur France de Specific Media.

 

Les enjeux

«Dans notre écosystème, tout le monde est à la fois concurrent et partenaire. Et nous sommes tous en quête du même euro de publicité», analyse Philippe Besnard, directeur général de Specific Media. L'enjeu principal des régies est donc de persuader annonceurs et agences médias que leur offre est la plus pertinente, à la fois en termes de puissance et de précision. «Il faut posséder la plus grosse base de données possible tout en maîtrisant les technologies de ciblage», affirme Laurence Bonicalzi-Bridier, directrice associée de Weborama.

Longtemps vendue uniquement au coût pour mille impressions (CPM), l'e-publicité display a subi les effets de la crise. Annonceurs et agences ont voulu optimiser leurs achats de publicité en ligne, et les offres à la performance, sur le modèle des Ad Links de Google, se sont multipliées. Les campagnes sont alors vendues au coût par clic (CPC) ou au coût par acquisition (CPA). «En 2010, les grands comptes vont consacrer entre 20 et 30% de leur achat d'espace display à des campagnes à la performance», prédit Laurence Bonicalzi-Bridier.
D'où l'importance de maîtriser les techniques de ciblage et de reciblage pour adresser la bonne publicité à l'internaute susceptible de cliquer ou d'acheter. «Posséder la technologie est un énorme atout», estime Anne-Claude Poinso, directrice marketing de MSN. «Le display à la performance représente déjà un quart de notre chiffre d'affaires et devrait atteindre 30% à la fin 2010», ajoute Brigitte Cantaloube, directrice générale de Yahoo France.
L'autre enjeu majeur, c'est la montée en puissance rapide des supports mobiles. Téléphones, smartphones, consoles de jeux et bientôt tablettes de type Ipad nécessitent des publicités adaptées. «Cela ne représente encore qu'un tout petit segment, mais il est en forte progression», constate Cyril Zimmermann, patron d'Hi-Media, qui vient de lancer Hi-Media Mobile.
«Ce métier évolue du médiaplanning – je planifie et j'achète – vers du mediadelivering – savoir diffuser du point de contact sur tous les supports possibles», résume Franck Farrugia, cofondateur de l'agence média Re-Mind.

 

Les perspectives

L'avenir de l'e-publicité s'écrira-t-il en partie en dehors des régies? Les plates-formes de places de marché («ad exchange») permettent aux annonceurs et agences médias de vendre et acheter des campagnes d'e-publicité sans intermédiaires humains. Il s'agit de Right Media (Yahoo), Microsoft Ad Center, Double Click (Google) ou encore Orange Ad Market, qui démarre ce mois-ci en France et en Europe (lire Stratégies n°1583). «Le marché du display est très fragmenté et manque de transparence. Les places de marché sont la prochaine étape de la vente de publicité sur les médias numériques», analyse Luc Tran Thang, vice-président d'Orange Advertising Network. Hi-Media va également lancer en juin, dans les neuf pays européens où la régie est présente, sa propre plate-forme, Hi-Media Performance, avec une technologie propriétaire.

Très en vogue dans les pays anglo-saxons, ce système de vente aux enchères automatisée et sans intermédiation débute seulement en France. Les inventaires échangés sur ces places de marché sont essentiellement des invendus, même si les opérateurs déclarent tous offrir également des emplacements «premium». Selon Franck Farrugia, cofondateur de Re-Mind, cette technique est promise à un bel avenir: «Les ad exchange permettent l'acquisition en temps réel de points de contacts. C'est une manière différente de vendre un inventaire publicitaire. À terme, l'interpénétration des différentes places de marché pourrait faire de ces dispositifs un acteur majeur du display.»
Une prophétie partagée par Mykim Chikli, présidente de Performics et directrice générale de Zenith-Optimedia France: «Les ad networks sont une tendance de fond. La technologie structure le média Internet. Avec ces plates-formes, elle se met au service de la rationalisation d'un inventaire publicitaire quasi infini.» En attendant, les annonceurs ont encore besoin des régies pour les guider dans la jungle de l'e-publicité.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.