Les communicants cultivent leur différence au sein des établissements culturels. Si les formations spécifiques se développent, l’engagement personnel reste indispensable. Mais la mutation numérique révolutionne la communication et les relations avec le public.
« J’ai la chance de faire un métier passion et de pouvoir travailler dans un lieu magique où l’on peut assister quotidiennement à des moments uniques de création culturelle », se réjouit Julia Neugebauer, directrice du mécénat et des partenariats du théâtre des Champs-Élysées. Au-delà de la formation, importante pour maîtriser les bases, l’engagement et les qualités personnelles sont indispensables, avance cette titulaire d’un master en management culturel : « il faut avoir une certaine ouverture d’esprit, une curiosité, la volonté d’apprendre à apprendre ».
Un point de vue partagé par Agnès Benayer, directrice de la communication et du numérique du Centre Pompidou, passée par l’enseignement en lycée avant de suivre les cours du Celsa en formation continue. « Les directeurs de la communication d’institutions culturelles doivent, bien sûr, maîtriser tous les aspects de la communication, mais aussi avoir une connaissance approfondie et une grande affinité avec l’univers de la culture », expose-t-elle. Sans compter que « le choix du service public implique une véritable adhésion aux valeurs portées par celui-ci ; la culture est un bien commun reliant tous les citoyens », plaide-t-elle.
Lire aussi : Les lieux culturels préférés des marques
« Les enjeux de la communication sont évidemment très différents entre une institution publique et privée. Pour nous, il y a une mission de service public primordiale », complète de son côté Leslie Lechevallier, directrice de la communication du musée Picasso, qui a elle aussi suivi un parcours un peu atypique avec un début de carrière dans le lobbying politique après Sciences Po et l’Institut supérieur du management public et politique. « Notre rôle est de rendre la culture attractive et accessible à tous, pas de toucher telle ou telle cible. L’enjeu pour les musées publics est de faire découvrir les œuvres au plus grand nombre, surtout à ceux qui n’ont pas l’habitude de venir spontanément au musée », souligne-t-elle. « Nous ne sommes pas des opérateurs économiques comme les autres », renchérit François Quéré, directeur délégué d’Universcience (établissement public gérant le Palais de la découverte et la Cité des sciences). « D’autant que nos règles comptables sont spécifiques et nous n’avons pas les mêmes budgets communication et marketing que dans le privé… »
Les profils des communicants des organismes culturels ont largement évolué ces dernières années, ils se sont professionnalisés [lire l’interview d’Isabelle Assassi, ci-contre], spécialisés et ils couvrent désormais un champ toujours plus vaste. « Historiquement, il y avait deux filières de formation : l’une, issue des filières culturelles (histoire de l’art, médiation culturelle, École du Louvre), l’autre, plus généraliste, orientée sciences politiques et communication (type Celsa) », rappelle François Quéré qui est aussi formateur au Celsa. « Ces dernières années, on a vu arriver plus de profils issus de formations dédiées au management culturel », poursuit-il.
Lire aussi : Le mécénat culturel en quête de sens
La diversité des parcours menant à la communication des acteurs du secteur culturel permet de varier les profils et les compétences. « Quelqu’un qui a un regard un peu différent, c’est une richesse nécessaire pour un centre d’art comme le nôtre », argue Agnès Benayer, du Centre Pompidou. « Personnellement, je suis quelqu’un qui croit beaucoup à l’hybridation des métiers et des parcours pour aider à la prise de décision », confie-t-elle.
Mais ailleurs, la mutation numérique a conduit à des changements majeurs. « Ces dernières années, les institutions culturelles sont passées d’une communication assez verticale à des échanges et feedbacks avec ses publics », explique celle qui cumule à la fois la direction de la communication et du numérique, un symbole du rapprochement des deux univers. « La mutation numérique nous a obligés à nous questionner sur l’ensemble de nos publics, cela nous a aussi poussés à interroger la marque », poursuit-elle. « L’impact des réseaux sociaux et du web participatif a bousculé la relation à nos publics qui est plus directe, mais aussi plus exposée. Celle-ci était un peu descendante, nous basculons dans une relation plus participative, allant même jusqu’à la production de contenus », renchérit François Quéré.
Lire aussi : Le milieu de l'art sous influence
Bien sûr, le covid a laissé des traces. « La pandémie a accéléré l’enjeu de la diffusion en ligne de contenu culturel », rappelle François Quéré. « La spécificité du secteur culturel dans une économie peu marchande, c’est que nos contenus sont facilement dématérialisables. Cela impacte aussi la chaîne de production de nos contenus », explique le directeur adjoint d’Universcience en soulignant qu’il faut désormais intégrer, dès la conception des expositions, leur diffusion sur le web ou les réseaux sociaux. « Ces deux dernières années, nous avons vu à quel point la culture est un lien social indispensable », complète en écho Julia Neugebauer. « Rien ne remplacera la magie du spectacle vivant, mais le numérique et les réseaux sociaux sont des moyens de faire rayonner le spectacle hors les murs, de toucher un public différent et aussi de rayonner à l’international », détaille la directrice du mécénat et des partenariats du théâtre des Champs-Élysées. Depuis la crise sanitaire, tous les spectacles du théâtre font l’objet d’une captation vidéo diffusée gratuitement sur le web.
« La mutation de nos fonctions et la révolution numérique font que la communication n’est plus une simple fonction support, un service qui arrive en bout de chaîne, mais se transforme en une fonction de conseil en stratégie », conclut Agnès Benayer.
Trois questions à Isabelle Assassi, responsable du master management des activités culturelles et créatives de Toulouse Business School
Les formations dédiées au management des institutions culturelles se sont développées ces dernières années. Signe d’une professionnalisation ?
Très clairement. Il y a vingt ans, il fallait se battre pour placer des stagiaires issus d’école de commerce avec un cursus spécialisé dans la culture. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les dirigeants d’institutions culturelles savent pertinemment qu’ils ont besoin d’une « machine » professionnelle pour faire le lien avec le public, communiquer, établir des stratégies marketing, développer les partenariats ou le mécénat…
Comment ont évolué les attentes des institutions culturelles ?
Le champ des exigences est devenu beaucoup plus vaste. Il y a deux décennies, il fallait des compétences en stratégie de communication et en print. Depuis, les couches de compétences attendues n’ont cessé de se superposer ; il faut maîtriser la vidéo, le web, la création numérique, les réseaux sociaux, le SEO, etc. Les exigences vont croissant… mais les rémunérations ne suivent pas toujours.
En quoi la mutation numérique est-elle spécifique dans le secteur de la culture ?
Comme ailleurs, la révolution numérique a été l’une des évolutions majeures. Elle touche la communication, mais aussi - et surtout - l’offre culturelle. Cela a commencé par la dématérialisation de la musique. Aujourd’hui, il faut prendre en compte les NFT, les métavers, les questions de blockchain, l’IA dans la création musicale ou graphique…