Les métavers vont-ils produire un bouleversement des métiers et des compétences ? Si leur impact reste encore largement inconnu, nombre d’acteurs prennent déjà leurs marques et proposent des formations adaptées à ce nouvel environnement.
Le (ou les) métavers vont-ils attirer en masse les internautes et, à leur suite, les investisseurs puis les entreprises ? L’engouement est déjà tel que le secteur de la formation n’est pas en reste. Le Metaverse College, lancé en mars, veut ainsi former des experts spécialisés en data science, réalité virtuelle ou encore management des cryptomonnaies capables de concevoir les espaces dont les entreprises voudront disposer dans ces futurs univers virtuels mais aussi les transactions qu’elles y mèneront. Son fondateur et dirigeant, Ridouan Abagri, mise toutefois sur une stratégie prudente puisque les futurs diplômés pourront aussi occuper des postes actuellement offerts sur le marché de l’emploi. « Ils accompagneront les entreprises pour créer des applications dans le métavers », explique-t-il. Le dirigeant postule que ces premiers diplômés seront recrutés par les entreprises du CAC40 : « Notre but est de former des gens polyvalents, capables d’accompagner les dirigeants et les directeurs de BU sur des projets qui requierent la culture qu’auront nos diplômés. »
Ces espoirs n’ont rien d’illusoire ou de lointain et d’autres groupes de formation s’y préparent déjà. MediaSchool [propriétaire de Stratégies] a ainsi lancé des tests dans le MetaKwark pour la rentrée 2022. Ils prendront la forme concrète d’une Journée portes ouvertes, d’un parcours d’admission ou encore d’une classe virtuelle, voire d’une recherche d’alternance. En utilisant les technologies du métavers, c’est bien un renforcement pédagogique qui est visé, explique Laurence Augoyard, vice-présidente du groupe : « Notre but est de pousser un apprentissage holistique, facilitant le mouvement de nos étudiants entre différents espaces virtuels, d'encourager le partage d'informations entre nos communautés d'apprenants, de développer la créativité et le travail collaboratif. L'idée générale est de renforcer l'engagement de nos étudiants par le plaisir d'apprendre pour les mener droit au succès. »
De nombreux métiers touchés
Les opportunités sont bien réelles, souligne Armand Derhy, directeur des projets stratégiques de Galileo Global Education : « Le marché du métavers est estimé à 800 milliards de dollars à l'horizon 2024, selon Bloomberg Intelligence. Il constitue un gisement d'emploi pour les futurs diplômés. Selon l'entreprise américaine Gartner, 25% des individus passeront au moins une heure par jour dans le métavers en 2026. » Il rappelle que Meta (ex-Facebook) s'apprête à recruter 10 000 ingénieurs en Europe à l'horizon 2027.
Au-delà des métiers liés au versant informatique, bien d’autres seront touchés, explique le dirigeant : « Dans le domaine de l’art et du design, le concepteur de jeux vidéo d'une entreprise travaillant par exemple dans le métavers devra veiller à rester toujours à l'avant-garde, afin d'effectuer des prototypes, imaginer, puis construire des jeux se déroulant dans la réalité virtuelle. » Il estime qu’il en sera de même pour la représentation des individus sous forme d'avatars, à condition de respecter les règles de consentement du RGPD. Sans oublier que le caractère unique de chaque NFT passe par de nouvelles opportunités dans les formations en design graphisme. « De plus, la nécessité de faire vivre aux utilisateurs en immersion une expérience unique dans des espaces qui se doivent de l'être va impacter les formations préparant à l'architecture 3D, ajoute Armand Derhy. Parmi les formations business, le chef de projet métavers contribuera pour sa part aux décisions stratégiques, en collaboration avec l'ensemble des équipes de conception : designers, artistes, ingénieurs et développeurs. »
Une expérience communautaire
Les métiers de la communication doivent aussi se préparer à de grands changements, prévient de son côté Nathalie Badreau, cofondatrice avec Laurence Gosse du laboratoire de recherche de l'Iscom sur l'utilisation du métavers dans la communication : « Désormais, la relation avec la marque sera interactive alors qu’elle était jusqu’à présent linéaire. La narration des marques devra être interactive car il n’est plus possible d’imposer un parcours au client, qui aura l’initiative de sa propre expérience. Cette expérience sera immersive, en temps réel et sociale. C’est une dimension un peu oubliée mais le métavers sera une expérience en communauté que chacun pourra déclencher quand il le souhaite. La dimension communautaire est le point fort du métavers. Les marques pourront créer des communautés en vendant des NFT qui donneront accès à des programmes de fidélisation ou même permettront à l’acheteur d’avoir son nom au générique d’un film, par exemple. »
Laurence Gosse relève de son côté la difficulté que soulève l’entrée dans une nouvelle dimension : « Le métavers rajoute une strate de 3D qui va contraindre à inventer de nouvelles façons de concevoir la communication. Le marketing va devoir revoir ses schémas de narration et repenser la question des points de contact. Tous ces métiers vont devoir penser leur activité au-delà du réel et intégrer la dimension 3D. » Les défis à relever sont immenses mais l’intérêt suscité par le métavers et ses possibilités est tel que rares seront les acteurs qui négligeront ce nouvel espace virtuel.
« Vous serez propriétaires de votre espace »
« La grande différence entre le métavers et tout ce que nous connaissons, y compris les jeux vidéo, c’est la décentralisation. Dans un réseau social classique, votre compte peut être supprimé par la firme qui a créé et gère le réseau social. Dans le métavers, ce ne sera pas possible car vous serez propriétaire d’un espace, vous ne pourrez pas être “débranché”. L’étape actuelle doit être consacrée à une réflexion autour des usages qui puissent servir les stratégies des entreprises qui souhaitent investir le métavers. Une sorte de Fomo (“fear of missing out”) se répand qui sous-entend qu’il faudrait être dans un métavers. Absolument pas ! Il y a des entreprises qui n’ont même pas de site internet et qui se portent très bien. Mais ne pas avoir un espace dans les métavers, c’est se priver d’une zone de chalandise et d’une surface de contact avec des clients déjà actifs ou potentiels. C’est aussi se priver d’un espace pour s’exprimer ou répondre aux critiques. L’esprit du métavers n’est pas de reproduire le réel mais de le sublimer. Les entreprises pourront par exemple créer des espaces, des sièges par exemple, qui montrent toute leur capacité d’innovation. »