[Tribune] De nouveaux enjeux agitent les entreprises depuis la pandémie, à commencer par les bureaux. Ceux-ci doivent fédérer le collectif, permettre d'innover, y compris à distance, et engager durablement les talents. Et si le design permettait d’y répondre ?
L’essor du télétravail modifie nos comportements. Connecté à l’entreprise par les outils numériques, il est désormais possible de travailler de presque n’importe où. La flexibilité au travail a changé d’échelle ; le modèle d’avenir sera flexible car combinatoire, ni 100% en entreprise, ni 100% en distanciel. Parallèlement, cette organisation délinéarisée révèle, en creux, la valeur du contact humain. Car si de nombreuses tâches restent réalisables de façon isolée, 61% des collaborateurs regrettent la baisse des interactions avec leurs pairs et managers, et 56% déclarent se sentir déconnectés de leur organisation, selon une étude de Capgemini Research Institute. Paradoxalement, plus nous devenons libres de travailler où nous voulons, plus nous avons besoin d'un bureau, autrement dit un lieu physique capable de répondre à nos besoins d’ancrage, de cohésion et d’interaction sociale.
Bien qu’il ait perdu son monopole, le bureau a vocation à perdurer. De façon pratique, il demeure le premier lieu capable de fournir des infrastructures essentielles qui ne peuvent être dupliquées à la maison. Il est aussi la principale incarnation spatiale de l’entreprise, soit un lieu où se transmettent des savoirs, des valeurs et un projet commun. En devenant lieu de flux, le bureau exige dorénavant une matérialisation plus forte et visible de la culture de l’entreprise. À titre d’exemple, les bureaux parisiens de Airbnb sont aménagés comme des d’appartements, rappelant ainsi aux collaborateurs le projet fondateur de l’entreprise : se sentir chez soi, toujours, même ailleurs.
Le bureau, un hub social
Le bureau doit aussi renforcer son rôle de hub ouvert, social et collaboratif. Venir au bureau pour rester seul à sa station de travail semble aujourd’hui ne plus avoir de sens. A contrario, dans un contexte de crise, les entreprises les plus performantes seront celles qui parviendront à créer les conditions d’une plus grande émulation. Les espaces collectifs donneront le rythme en favorisant la rencontre, l’interaction, la confrontation des idées et des talents, des composantes indispensables à toute dynamique de transformation, en particulier dans un contexte de crise.
Il ne s’agit pas seulement de travailler au sein d’un même lieu de travail, mais bel et bien de mieux réfléchir, interagir et travailler ensemble. Et cette ambition incite à repenser en profondeur les espaces de bureau. D'abord en renversant le rapport entre espace individuel et collectif. Plutôt que de consacrer, de façon assez traditionnelle, 70% des surfaces à des postes de travail et 30% aux autres fonctions, on privilégie désormais les espaces collaboratifs. Les mètres carrés ainsi libérés accueillent le plus souvent un hub social, tantôt lieu de vie et de travail informel, ainsi qu’une plus grande diversité d’espaces thématiques (atelier de créativité, espaces de présentation, laboratoire).
Les zones dites de transit telles que les halls, les coursives ou les espaces de détente sont à valoriser. Ces dernières favorisent les interactions, elles provoquent des rencontres aléatoires et renforcent le sens de la communauté. Aux États-Unis, l’agence R/GA a habillé son hall d’accueil et de restauration à l’aide d’écrans diffusant les projets sur lesquels travaillent les différentes équipes. C’est une façon ingénieuse de compenser l’invisibilité du travail à distance, de provoquer des discussions et donc de la cohésion.
Il s’agit enfin d’anticiper la réversibilité des espaces : le siège du groupe TotalEnergies à Genève par exemple héberge un pôle de restauration de 175 places, qui peut accueillir meetings et conférences en dehors des heures de repas. Dès lors qu’il devient possible de travailler ici ou là, on ne se rendra plus au bureau par habitude, mais par volonté et dans un but précis. C’est l’efficacité des liens au travail qui fera l’attrait et la pertinence du lieu de travail, et vice versa.