Le projet de loi de réforme des retraites s’accompagne d’une volonté de reconsidérer la place des seniors, appelés à travailler plus longtemps dans l’entreprise. État des lieux.
C’est un critère qui arrive en avant-dernière position dans le baromètre de la diversité de l’Arcom derrière les origines, le genre, le handicap ou le lieu de résidence : la sous-représentation des plus âgés. Elle est particulièrement frappante pour les femmes puisqu’elles sont 15% à avoir entre 50 et 64 ans sur les écrans quand elles sont 40% entre 35 et 49 ans sur ces mêmes antennes. Peu mise en avant par le régulateur, cette sous-exposition des seniors est à l’image d’un monde du travail qui n’a jamais fait de cadeaux à ses salariés les plus âgés, et dont il a cherché à se débarrasser par le jeu des préretraites et des plans de restructuration. Résultat, la France engage sa réforme des retraites alors même que la moitié des salariés de plus de 55 ans sont en activité. Un chiffre qui tombe à 35,5% s’agissant des 60-64 ans. Soit dix points de moins que la moyenne européenne.
Comment remédier à cet état de fait ? Le gouvernement a annoncé des initiatives qui font partie intégrante du débat sur les retraites engagé à l’Assemblée nationale jusqu’au 17 février. Ainsi, l’index senior vise à quantifier la diversité générationnelle pour les entreprises de plus 1000 salariés en 2023 et de plus 300 en 2024. Il a déjà fait savoir qu’il était ouvert à une prise en compte des PME de plus de 50 salariés et même à examiner une éventuelle sanction portant sur 1% de la masse salariale en cas de défaillance.
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Une approche coercitive que ne retient pas Sibylle Le Maire, directrice exécutive du groupe Bayard et fondatrice du club Landoy, qui organisait le 19 janvier à Paris une journée de tables rondes intitulée « Comment accélérer la transition démographique vers une société 100% inclusive ». Jointe par Stratégies, elle se prononce pour « avoir des indicateurs précis, agrégés et non nominatifs ». Bref, ni pénalité, ni sanction, ni « name and shame », mais quatre critères portant sur la part des seniors dans l’entreprise, une charte d’engagement en dix points en faveur des plus de 50 ans – signée au départ par 32 sociétés comme L’Oréal, Thales ou Sodexo et que 19 entreprises ont rejointes – un taux de formation et de mobilité des seniors et enfin un indicateur portant sur les recrutements. « On a plutôt avancé sur la capacité à garder les seniors en entreprises mais on ne sait toujours pas les recruter », note-t-elle. Un point noir à l’heure où les carrières deviennent de plus en plus hachées.
Si la dirigeante de Bayard estime qu’il s’agit là « d’une politique RH, d’engagement plus de d’une politique de communication », force est pour elle de constater que les entreprises de médias et de publicité ne sont pas encore très allantes ou soucieuses de donner l’exemple sur le sujet. Il faudra bien pourtant s’assurer de la progression de cette prise de conscience dans les entreprises avec des « indicateurs précis et implémentables sur les PME-TPE ». Déjà, Alexandre Viros, président France du groupe Adecco, se prononce pour « un petit poil de coercition » en particulier « si on reste collé à ses mauvais résultats et qu’il ne se passe rien ». Faut-il aller jusqu’à la conditionnalité des aides, à un système de bonus-malus à travers des incitations fiscales ? Le champ des possibles est ouvert.
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Une chose est sûre, les entreprises signataires veulent toutes en finir avec les stéréotypes qui sont parfois tellement intégrés par ceux qui en sont victimes qu’ils ne songent même pas à s’en plaindre, comme s’il s’agissait d’une fatalité. Laetitia Niaudeau, directrice générale adjointe de l’Apec, a souligné le 19 janvier que les cadres de plus de 55 ans connaissaient un chômage de 7%, contre 4% pour la moyenne nationale, et qu’ils représentaient la moitié des 100 000 cadres demandeurs d’emplois depuis plus d’un an. « L’âge est le premier motif de discrimination chez le Défenseur des droits, mais cela ne concerne que 10% des saisines tellement c’est intégré », relève-t-elle.
Comme le note Myriam El Khomri, ancienne ministre du Travail et directrice conseil RH chez Siaci Saint Honoré, « on pense toujours que les cheveux blancs sont incompatibles avec une culture digitale ». On les voit peu adaptables à un environnement de start-up… comme les femmes il y a quelques années. Or ceux qui ont passé la cinquantaine ont intégré internet depuis le début de leur vie professionnelle. Ils ont des capacités d’adaptation au télétravail d’autant plus simples qu’ils n’ont plus d’enfants en bas âge et sont moins à l’origine d’absences perlées qui désorganisent l’entreprise. « Dans les métiers du commercial, ceux qui ont le vent en poupe, ce sont les plus de 50 ans », assure-t-elle. Alexandre Viros confirme que cette tranche d’âge a suivi l’évolution des outils technologiques : « Ils ont un mobile et certains draguent sur Tinder », sourit-il.
Quid des plus âgés ? « Les 55-75 ans sont 59% à aller sur les réseaux sociaux et à faire du sport au moins une fois par semaine et ils sont 84% à utiliser les interfaces digitales de BNP Paribas, constate Marguerite Bérard, directrice de la banque commerciale en France. On a une représentation parfois biaisée de cette population qui ressemble beaucoup à la population générale et est, par exemple, la première utilisatrice des montres connectées d’Apple. »
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Les seniors ont également des qualités qui s’inscrivent bien dans des grandes entreprises soucieuses de l’expérience acquise à travers une longue carrière. C’est le cas de L’Oréal où ils sont perçus comme « les dépositaires d’une culture qu’on croit important de valoriser et d’échanger avec ceux qui rentrent », comme dit Hervé Navellou, président du groupe en France.
Encore faut-il être capables d’entretenir leur employabilité. « On recherche des seniors comme des jeunes mais pour cela il faut les former », rappelle Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, qui veut, à travers des formations, « aller en push vers des catégories de population pour les inciter à s’adapter ». Mobilité et agilité sont aussi encouragées à L’Oréal où Benoît Serre, son DRH qui s’exprimait en tant que vice-président de l’Association nationale des DRH, attend une vraie politique seniors : il espère de plus forts montants sur le CPF et une sécurisation de la cotisation à taux plein compatibles avec un temps réduit qui permettrait d’aménager la fin de carrière, comme l’a fait Orange. « Tant qu’on dira que le maintien à l’emploi des seniors passe par le mentorat ou le tutorat, on en fera des demi-salariés. Ça ne résoudra pas le problème, ça l’aggravera », juge-t-il.
L’aménagement du temps est en tout cas une nécessité pour les aidants auprès de leurs parents ou de leurs proches. « C’est quelque chose d’intime, il est très difficile de se déclarer aidant et c’est très difficile à détecter », observe Fabienne Dulac, ex-directrice générale d’Orange France, qui n’a eu que 5 demandes pour ce statut sur 45 000 salariés. D’où l’importance d’un dispositif concret avec des autorisations spéciales d’absences. Un enjeu sociétal autant qu’économique. L’économiste Jean-Hervé Lorenzi estime qu’on aurait un à deux points de PIB supplémentaires avec le niveau d’emploi de la Suède sur les 60-64 ans.