Quels éléments clefs caractérisent le management de Reed Hastings ?
Erin Meyer. Reed Hastings voulait créer une firme avec une culture qui maximiserait l’innovation et la flexibilité. Il a conclu que le meilleur moyen d’y parvenir était de donner un maximum de liberté aux employés et de réduire au minimum les process organisationnels qui empêchent le développement de la flexibilité. Il a aussi estimé qu’il devait embaucher les meilleurs salariés possibles, ceux qui n’ont pas besoin de règles, et, pour que cette liberté ne donne pas lieu à des abus, instituer une culture du feed back permettant à chacun d’aider les autres et de révéler les comportements inappropriés. Ce schéma aboutit à une entreprise avec une très haute densité de talents, c’est-à-dire avec moins d’employés mais meilleurs.
Comment a-t-il réussi à attirer ces talents ?
Il a décidé de proposer les meilleurs salaires du marché. Netflix réunit trois éléments : une forte densité de talents, une forte culture du feed back et un environnement avec très peu de process et de procédures. Le rôle du dirigeant est d’expliquer ce qui est approprié ou pas et cela se décline jusqu’aux managers des équipes. Chaque chef de département pose ce qui est approprié ou pas et les salariés peuvent ensuite prendre les décisions. La seule règle qu’ils doivent suivre est d’utiliser leur jugement dans l’intérêt de l’entreprise. Dans la culture de Netflix, les employés sont considérés comme des adultes capables de se comporter de manière responsable.
Comment Netflix a pu se développer aussi rapidement ?
Cela tient à l’optique adoptée par l’entreprise. Pour Reed Hastings, les employés ne sont pas là pour faire plaisir à leur patron mais pour faire ce qu’il faut pour assurer le développement de la firme. Dans la plupart des entreprises, le processus de prise de décision est comme une pyramide. Tout ce qui est important doit passer par le PDG qui est au sommet de la pyramide. Ce système a un inconvénient majeur : tout ce qui est important doit être approuvé au sommet. Netflix part d’un autre principe : celui de l’arbre. C’est le PDG qui est à la base, il fixe les objectifs et ce que les employés doivent garder en permanence à l’esprit. Les dirigeants sont comme le tronc de l’arbre, ils précisent les contextes spécifiques à leur domaine de responsabilité. Viennent ensuite les managers de terrain, qui sont comme les branches de l’arbre, et enfin les salariés, qui sont les feuilles. Ce sont eux qui décident des dépenses, dans le cadre des objectifs et du contexte qui remontent de la base vers le sommet de l’arbre.
Quelle place occupe l'innovation dans le management ?
Reed Hastings met l’accent sur l’innovation plutôt que sur l’efficacité ou l’efficience. La priorité est de maximiser l’innovation. Cela implique de passer par des essais, ce qui induit des échecs mais c’est le prix à payer. Pourquoi accepter un tel prix ? Parce que dans le monde actuel, le plus grand risque qui menace les entreprises, c’est de ne pas innover assez vite et de ne pas être assez flexible. Aujourd’hui encore, la plupart des entreprises fonctionnent avec les principes de l’ère industrielle. Elles veulent maximiser l’efficience, éviter les erreurs et maintenir un mode de fonctionnement fiable et répétitif. C’est exactement l’inverse de ce dont les entreprises ont besoin car la révolution technologique contraint à être plus créatif et à innover à un rythme plus rapide.
Comment Netflix a réagi face à la crise sanitaire ?
La crise sanitaire due à la Covid a mis les entreprises qui suivaient les principes de l’ère industrielle face à un changement brutal qui les a forcées à changer. Netflix n’a pas eu ce problème car c’est une entreprise qui se réinvente régulièrement depuis sa création. Après avoir été un loueur de DVD envoyés par la poste, elle est devenue une firme de high tech puis un studio de création de divertissement… Les firmes d’aujourd’hui doivent être plus flexibles et prêtes à changer d’orientation plus fréquemment.
Quels sont les inconvénients de ce type de management ?
L’un des inconvénients du management de Netflix est que vous devez en permanence avoir les meilleurs employés. Il faut donc renvoyer ceux qui ne se révèlent pas à la hauteur. Dans l’ère industrielle, une bonne firme était celle qui reproduisait un environnement similaire à celui d’une famille. Netflix ne se considère pas comme une famille mais plutôt comme une équipe sportive professionnelle dont les membres doivent montrer un haut degré de collaboration et de bonne volonté.
Sinon ?
Si quelqu’un n’est pas le meilleur à son poste, il est aussitôt remplacé. Les gens n’ont pas la sécurité de l’emploi, et pourtant le turnover est juste un peu supérieur à la moyenne. Le taux de turnover volontaire est en fait inférieur à la moyenne mais celui des licenciements est supérieur. C’est un environnement à haute teneur en adrénaline mais les employés de Netflix sont mieux payés, ils ont plus de liberté de décision et ils sont entourés des meilleurs dans leurs domaines respectifs. C’est la raison pour laquelle si peu quittent spontanément l’entreprise.
Ce type de management peut-il fonctionner en France ?
La France est un pays d’ingénieurs, lesquels ont mis en place toute une série de process qui assurent une grande sécurité aux salariés. C'est l’un des pays qui dispose d’un tissu économique dont une part très importante est issue de l’ère industrielle, plus encore que les États-Unis ou la Scandinavie. Je crois cependant que les Français sont un peuple qui aime la liberté et qu’ils sont créatifs. Reed Hastings considère que Netflix travaille au bord du chaos. C’est là que peut prospérer l’innovation. C’est là qu’il faut être pour éviter les process qui rendent les organisations stériles. Pour avoir des employés plus créatifs, les entreprises doivent créer un environnement plus fertile, dépourvu des process qui créent de la stérilité. C’est au bord du chaos que se trouve cet environnement plus fertile. La France est prête pour ce type d’environnement. Je suis convaincue que les meilleurs talents français peuvent donner leur meilleur et être créatifs là où tout n’est pas organisé.
Erin Meyer, du Botswana à Netflix
Né aux États-Unis, Erin Meyer a grandi dans le Minnesota. Après une mission dans le Peace Corps où elle a enseigné l’anglais au Botswana, elle a rempli des postes de direction chez McKesson, HBOC et Aperian Global. Aujourd’hui professeure à l’Insead, elle s’est illustrée en 2014 avec The Culture Map: Breaking Through the Invisible Boundaries of Global Business, un livre qui analyse l’impact des différences culturelles sur l’activité des entreprises. Le livre co-rédigé avec Reed Hastings, le PDG de Netflix, No Rules Rules : Netflix and the Culture of Reinvention, est devenu un best seller du classement établi par le New York Times en octobre 2020. Il paraît en français sous le titre La Règle? Pas de règles, chez Buchet-Chastel.