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Pour Stratégies, la designeuse industrielle matali crasset, qui a imaginé les nouveaux kiosques parisiens, voit la maison de demain comme un lieu de vie profondément ancré dans l’humus.

Le projet veut redonner une relation à la terre. Nous avons complétement oublié ce qu’est la terre qui est sous nos pieds. Il n’est pas rare d’entendre les enfants dire que la terre, c’est sale. C’est bien là la preuve que nous avons perdu toute relation et compréhension de son rôle. C’est en implantant des composts que nous avons redécouvert la présence de lombrics dans la terre et que nous nous sommes rappelé leur rôle essentiel. 

Je me suis remémoré alors un passage d’un documentaire sur Claude et Lydia Bourguignon [fondateurs du LAMS (Laboratoire d’analyse microbiologique des sols)]. Ils nous révèlent que la plupart du temps, quand l’homme l’a exploitée, la terre est littéralement morte. On voit Claude Bourguignon prendre une motte de terre qui est devenue très dure à force d’avoir été travaillée, retournée... Et en la rompant, il révèle à l’intérieur une matière inerte. Plus aucune trace de vie, de micro-organisme, de vers de terre…

Replongeons-nous dans les explications de Claude Bourguignon. Pourquoi dès que l’homme intervient, il casse les sols ? Et comment ça marche un sol ? L’arbre, c’est le maître des sols. Il est indispensable au sol. La faune épigée, qui vit à la surface du sol, attaque les branches, les feuilles et les transforme en matière organique. Cette dernière est ensuite transformée en humus par les champignons. La fabrication d’humus se fait uniquement à la surface du sol. On comprend bien pourquoi le labour est une machine de destruction massive des sols. Il enterre la matière organique, ce qui est une absurdité.

Les arbres ont un double enracinement : un enracinement horizontal et un autre vertical qui descend en dessous de cette couche de matière organique. Au printemps, l’humus est minéralisé par les bactéries. En minéralisant, elles fabriquent du nitrate et du phosphate qui, avec l’eau de pluie, vont descendre en profondeur. Les racines horizontales de l’arbre seront alors en capacité de récupérer ces matières qui sont acheminées à l’extrémité des branches pour la frondaison (moment de l’année où les feuilles commencent à pousser).

Le système sol/plante est fermé dans la nature, il n’y a pas de fuite. C’est pourquoi les nappes phréatiques sont propres sous les arbres. L’aberration de l’agriculture intensive est d’enfuir la matière organique dessous.

Les arbres, avec leur deuxième système d’enracinement vertical dénommé « le pivot », ont une action complémentaire. Les racines verticales atteignent les roches mères, à cet endroit, elles sécrètent des acides qui transforment la roche en argile. L’humus est fabriqué en surface et l’argile est fabriqué en profondeur par les racines des arbres. L’humus et l’argile se rencontrent grâce à l’action des vers de terre ou lombrics.

Les lombrics habitent des galeries, ils ont une double action : ils prennent la matière organique en haut et la descendent en profondeur. Ils montent l’argile en surface et le mélange à l’humus. Ces actions s’opèrent grâce à leur intestin, qui possède par ailleurs une glande qui est très riche en calcium. Ils fabriquent ce qu’on appelle du « complexe argilo-humus », on peut donc dire que c’est le ver de terre qui fabrique la terre. En profondeur, l’action du ver de terre est associée à celle la faune endogée qui mange et digère les racines mortes…

Stop aux modèles artificiels

Comment avons-nous fait pour tuer nos sols ? Nous avons violé deux lois fondamentales de la biologie. Tout d’abord en inventant la charrue, une arme de destruction massive et en enterrant la paille au moment des labours car cela réduit de moitié la matière organique. Le labour ne fait que perturber les micro-organismes qui y vivent en utilisant des engrais chimiques qui stimulent les bactéries. Or les bactéries se multiplient beaucoup plus vite que les champignons. La matière organique, en se minéralisant, descend en profondeur, ce qui provoque la disparition de la faune des vers de terre et des champignons.

Et quand ils ont disparu, la potasse, la magnésie, le phosphore, le calcium descendent en profondeur au lieu de concourir au développement du vivant, et polluent les nappes phréatiques. Nous sommes dans l’ère de la dégradation chimique. De plus, en l’absence de vers de terre, l’argile, faute d’être remontée, se retrouve dans les rivières puis dans la mer.

Le constat est sévère. Depuis les années 50, nous avons détruit 90 % de notre activité biologique. Selon les Bourguignon, l’agriculture classique n’a plus de science, elle n’est intéressée que par la technique et pas par la nature. Les agronomes ignorent tout de l’agronomie des sols. Il n’y a plus de microbiologiste des sols en France, la chaire d’agronomie des sols de l’Agro a été supprimée en 1986. L’agriculture fait tourner le business agro-industriel. Elle n’est pas là pour nourrir les hommes mais pour enrichir l’agro-industrie. Nous avons besoin de retrouver du bon sens et un lien direct avec la nature. C’est à chacun d’entre nous qu’incombe de développer un rapport intime à la nature qui permettra de stopper les logiques actuelles qui s’appuient sur le développement de modèles artificiels.

C’est forcément par la nourriture que ce changement doit advenir, car manger est ce qui est de plus intime, c’est ce que nous ingérons et c’est ce qui nous constitue… Une agriculture alternative existe déjà mais elle est encore trop parcimonieuse. Montrons que nous partageons les mêmes valeurs pour qu’elle devienne dominante. Un changement de nos modes de consommation ne peut advenir que si nous sommes impliqués, si nous faisons pousser nos propres légumes, si nous voyons de nos yeux l’action des saisons…

La maison-serre, un retour sur terre

La maison que je propose permet un contact quotidien et une redécouverte de la terre. C’est une maison-serre. La serre fait partie de l’habitat, elle en est la base et le fondement. L’habitation ne touche pas la terre, c’est la serre qui fait l’interface avec la terre. L’habitation est sur pilotis et c’est sa partie nourricière, la serre, qui est mise en avant et qui permet à chacun de retrouver la fierté de manger ce que l’on fait pousser.

La maison que je propose n’est pas ancrée dans la terre, elle y est juste posée. C’est une maison qui cherche l’orientation et le soleil : sa façade est complétement ouverte au sud et elle tourne le dos au nord. Sa forme fait penser à un grand capteur de soleil qui s’étend du toit au sol. On capte les rayons du soleil pour produire de l’énergie grâce aux panneaux photovoltaïques disposés sur le toit, réchauffer l’habitat et pour favoriser le développement du végétal dans la serre.

C’est une maison à ossature en bois pour pouvoir, là encore, concrétiser une autre relation à la nature. L’intention est d’acheter du bois local pour la construction de la maison, même s’il est encore difficile de le faire aujourd’hui. Les initiatives dans ce sens se développent : « Profil bas » et « Avenir forêt » sont deux organisations qui permettent de soutenir la filière Bois près de chez soi. La sylviculture étant devenue trop industrialisée, ces nouveaux acteurs cherchent à instaurer de nouvelles logiques en sortant du cycle de la malforestation qui a abouti à ce que 50 % de nos forêts ne soient constituées que d’une essence et de plus en plus de résineux.

Un univers à la mad max

En regardant Le Temps des forêts, documentaire de Francois-Xavier Drouet, on a l’impression que l’homme a perdu la raison dans sa volonté de dompter, domestiquer la terre et plus particulièrement les arbres. On y voit des engins disproportionnés et monstrueux, qui pourraient provenir de l’univers d’un Mad Max. Ils arrachent, ébranchent, effeuillent les arbres avec une violence d’un autre âge, à une vitesse record et en détériorant tout sur leur passage.Un sentiment d’irrespect renforcé à la lecture de La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben [ingénieur forestier et écrivain allemand]. Il s’en passe des choses sous terre : des amitiés, de l’entraide… Les arbres d’espèces différentes y font, entre autres, des échanges de substances nutritives. Des comportements qui sont en contradiction complète avec le type de relation que nous entretenons avec eux. 

Le sol est, en fait, un écosystème sensible. Cette maison est-elle implantable partout ? Pour ce projet, il ne s’agit pas de mettre de la terre spécifique ou du terreau à outrance. La serre valorise le sol là où elle se pose. Si les sols sont pauvres, il faut réintroduire les espèces rustiques qui sont adaptées à ce type de terrain. Nos ancêtres le faisaient en les améliorant année après année. Quittons la logique du rendement en utilisant les semences paysannes, qui donnent des aliments avec plus d’oligo-éléments et donc plus nutritifs. Ainsi, en faisant pousser ses aliments, nous pourrons respecter le cycle des saisons… 

Avec ce projet, on ne parle plus de répondre à des besoins mais on réapprend à retrouver le plaisir dans nos actions quotidiennes.

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