J'ai adoré The Artist qui offre à la comédie toute la place qu'elle mérite. J'ai applaudi le sacre de ce «premier film non anglo-saxon». Mais la folle excitation qui précéda la cérémonie des oscars me laisse une légère amertume. Pour la première fois, un film étranger allait peut-être recevoir la distinction suprême. Cent fois répétée, cette prémonition d'une toute première fois sonnait comme la supplique d'un complexe français affrontant l'hyperpuissance hollywoodienne. L'appétit journalistique de gravir pour la première fois la plus haute marche du podium révélait le désir d'un petit frère de dépasser le grand, au moins une fois, pour enfin avoir grâce à ses yeux. Nous étions, cousins provinciaux, en passe de remporter une victoire contre le cours du jeu. Un film français meilleur qu'un film américain! Inouï! Insensé! Quel joli tour…

Cette situation subsidiaire, quémandant la reconnaissance de nos pairs, semblait établir une hiérarchie insidieuse des cultures. La pole position inédite semblait compter davantage que la qualité du film, chef-d'œuvre avant tout. Chemin faisant, tout se passait comme si notre excitation reconnaissait une suprématie de fait, comme si nous validions une échelle des valeurs, associant puissance économique et domination culturelle.

Le syndrome de Stockholm s'applique ainsi à nos imaginaires nationaux. Les ravisseurs de nos espaces mentaux, à l'œuvre depuis des décennies via le «made in USA», nous ont puissamment hypnotisés. Et, dans nos têtes, nous sommes tout à notre joie dans la position d'un club de CFA face à l'élite nationale. La marque USA a placé depuis des années la culture et le cinéma en première ligne de sa conquête des cœurs et des esprits. Les oscars ne prêtent qu'aux riches, c'est-à-dire à eux-mêmes. Ils célèbrent un film muet qui leur parle sans remettre en cause une domination linguistique sans partage. Ils saluent, magnanimes, un hommage sincère à leurs propres talents, volés par effraction, mais avec brio par des génies français dont ils sauront très vite tirer profit. Le prochain film d'Hazanavicius sera coproduit par… George Clooney.

Mais comme aurait dit George Valentin: Oh! Putain! Génial! Merci! Formidable! Et j'ajoute: carpe diem! Et vive toutes les cultures!

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