Commençons par les faire sortir de la salle, lui et les autres prédicateurs du digital. On leur rouvrira la porte, mais dans un moment. De toute façon, cela ne les empêchera pas de tweeter. Leurs tweets, justement: un flux incessant qui fait tourner la tête. «Ah!», Viggle, la nouvelle application qui récompense la fidélité aux programmes TV. «Oh!», Schemer, qui semble plus intéressant que Foursquare. «Yeah!», Google va racheter (ou pas) Pinterest. Et Google+, on lance les pages de marque ou pas?
Sauf que le buzz entourant les tendances, plateformes, technologies, disciplines du jour fait un peu «fuite en avant». Comme si, systématiquement, le «truc du jour» chassait celui d'hier. L'époque, pourtant, se prête assez mal aux expérimentations, au suivisme des modes du digital: on n'est pas dans le «streetwear»...
Tout ce qui sort de SXSW ou du CES ( ???????????) ne mérite pas nécessairement notre attention. La part du digital a beau grossir, le gâteau - les moyens à disposition des annonceurs - n'augmente pas vraiment. Pardon de plomber un peu l'open bar mais je voulais rappeler deux ou trois évidences qu'on a un peu perdues de vue, à force de faire dans le «real-time».
En 15 ans de «digital», j'ai vu se succéder un paquet de théories, d'approches, d'acronymes, de buzzwords qui, «cette-fois-ci-c'est-sûr vont tout changer...». J'ai assisté à la montée en puissance de sous-disciplines et leur lot de nouvelles agences et d'experts qui évangélisent à tous crins, au risque de transformer des considérations tactiques en priorités du moment. Souvent, la «hotness» de l'outil, de la technologie, du «device» accapare l'attention au point de guider les briefs et d'occulter toute réflexion stratégique.
À l'arrivée, la présence de la marque sur internet prend parfois l'allure d'une série de «cases à cocher»: web-série, appli smartphone avec la «gamification» qui va bien, community management objectif 500 000 fans, SoLoMo, etc. Logique: en cherchant bien, on trouve toujours des «case studies» qui semblent «démontrer» l'efficacité, donc la nécessité, de tel ou tel levier.
Je recommande un autre exercice, plus exigeant, mais bien plus constructif que la pêche aux «case studies»: la mise à plat de la performance de chaque brique du dispositif digital sur les deux ou trois dernières années. Un examen critique et «sans-tabou», pour répondre à quelques questions clés avant de se ruer sur la nouvelle collection «digital printemps-été» 2012.
Quels objectifs spécifiques a-t-on fixé ou peut-on attendre de chaque «pièce» de l'écosystème? Quels sont les éléments qui délivrent un résultat vraiment probant, contributif à l'image ou au business de la marque? Quelles synergies contribuent-ils à entretenir au sein ce même éco-système? Au sein de l'ensemble du dispositif de communication des marques? Quelle audience touché-t-on réellement, avec quel engagement, pour quel résultat?
Des surprises, et pas toujours très bonnes, sont à prévoir: des choses marchent beaucoup mieux que d'autres, en fonction des problématiques, des secteurs, des marques, des segments de consommateurs - point de «détail» que le discours ambiant tend à nous faire oublier. Le déclenchement et l'entretien de dynamiques vertueuses, promesse génétique du digital, relèvent toujours du sur-mesure, d'une approche en système et pas par discipline, plateforme ou device, donc d'un vrai diagnostic de l'existant.
Il est donc temps de remettre en perspective le discours des uns et des autres: ici, il faudrait tout miser sur le contenu (le «content-centric marketing»!); là, sur le social media et le community management (klout, ô mon klout!). Sauf que ni l'un ni l'autre, certes incontournables, potentiellement très puissants comme parfois impuissants, ne font une stratégie de communication. On construit des marques, on n'empile pas des «likes» et des vues.
Je ne parle même pas des dérives liées à l'acquisition ou l'activation de fans – trop facile. Je dis simplement que les disciplines - brand content, social media, marketing mobile, etc. – ne peuvent écrire des stratégie de marque, établir des priorités, allouer des moyens. Je dis que la publicité et le digital requièrent une fusion des expertises, et certainement pas de nouveaux cloisonnements, à l'intérieur desquels chacun pourrait se proclamer gourou. Réaffirmons, dans la communication digitale - on pourrait d'ailleurs se passer de l'adjectif – le rôle central du conseil, de l'expérience et de l'analyse.
«Trends are trendy, insights get shit done» (les tendances sont à la mode, les insights font faire de la merde), dit Richard Huntington sur son blog Adliterate. A garder en tête, pour qu'on ne puisse pas nous dire un jour que le digital aura plus contribué à la croissance des agences qu'au développement des marques dont elles ont la responsabilité.