Depuis quelques semaines, Nicolas Sarkozy semble avoir fait de son partenariat avec l'Allemagne l'alpha et l'omega de son discours économique. Les points d'orgue de cette soudaine germanophilie a été son intervention télévisée du 29 janvier, au cours duquel il mentionna à satiété le «modèle allemand», nouvelle voie à suivre en matière de performance économique et de gestion des deniers publics, puis une semaine plus tard son entretien mené conjointement sur France 2 avec la chancelière allemande, Angela Merkel.
Cet engouement n'a pas manqué de susciter des critiques, au sein de l'opposition bien sûr, mais aussi parmi nombre d'économistes cités dans les médias («Vous avez dit modèle allemand?» sur le site du magazine Marianne, «Sous le capot du modèle allemand» sur celui d'Arrêt sur images, «Un modèle allemand en carton pâte» sur Le Monde diplomatique...).
Les Français, eux, sont partagés sur le sujet. Selon un sondage réalisé par Harris Interactive pour le site d'information Jolpress (1), une petite majorité d'entre eux (50%) considère que l'Allemagne pourrait constituer un modèle économique et social pour la France, 42% pensant le contraire. Mais ils estiment que cela serait difficile à mettre en œuvre, le contexte dans chaque pays étant très différents (58% des répondants).
Toutefois, la majorité considère que la situation de l'Allemagne est préférable à celle de la France en termes de croissance économique (76%), de commerce extérieur (73%), de déficits publics (62%), de négociation syndicale (60%), voire de fiscalité (46% estiment qu'elle est meilleure en Allemagne, 12% France) et même en termes de salaires (50% meilleure en Allemagne).
Le modèle social français jugé plus favorable
En revanche, les Français n'échangeraient pour rien au monde leur droit du travail et leurs prestations sociales avec ceux de leurs voisins d'outre-Rhin (respectivement 44% et 67% les estiment meilleurs en France, contre 21% et 8% pour l'Allemagne).
Et quand on évoque la vie quotidienne et la qualité de vie, les Français sont encore plus réservés sur le prétendu «modèle». Ils sont en effet presque autant à juger la qualité de vie meilleure en France qu'en Allemagne (27% contre 33%, pour 30% jugeant que cela est similaire). Seule une petite minorité estime qu'au global, il est plus agréable de vivre (9%) ou de travailler (25%) en Allemagne, tandis qu'une majorité ne s'imagine pas y vivre (64%) ou y travailler (59%).
Les Français prennent acte des efforts fournis par l'Allemagne pour rester compétitive. Mais comme le soulignait déjà une précédente enquête menée par l'Ifop pour l'ambassade d'Allemagne en France sur l'image de ce pays dans l'Hexagone (2), si 62% des Français jugent nécessaire de s'inspirer du modèle économique et social allemand, avec une surreprésentation des retraités et des sympathisants de l'UMP, le modèle social français est souvent considéré comme plus favorable. D'ailleurs, dans ce même sondage, 60% des personnes interrogées estiment que la pauvreté et les inégalités se sont accrues en Allemagne.
Parole d'expert
Jean-Daniel Lévy, directeur du département Politique & Opinion d'Harris Interactive
«Clairement, les Français ont du mal à se projeter en Allemagne tant pour y vivre que pour y travailler. Mettre en avant le “modèle” allemand peut donc être à double tranchant, surtout au moment où l'opinion s'interroge sur ce qu'est “être Français” et sur l'avenir de la société française. Les Français sont profondément attachés aux notions de services publics et de qualité de vie, qui font partie intégrante de la vision qu'ils ont de la société française, même si ces notions peuvent être aujourd'hui perçues comme inopérantes et inefficaces. Nicolas Sarkozy est d'ailleurs en partie revenu sur cette idée de “modèle” allemand en ne surenchérissant pas sur le sujet dans son entretien au Figaro magazine.»