Depuis quelques temps, les réseaux sociaux animent les conversations de salon; depuis 2011, ils accélèrent même la spontanéité de certaines révolutions. Pour l'année passée, le prix de l'outil du média social le plus remarquable devrait être logiquement accordé à Twitter. Tout phénomène ou personnage possède deux faces, celles fameuses du dieu Janus. L'une visible, officielle, l'autre plus sombre, parfois dissimulée. Voici les deux façons de raconter la saga Twitter de l'an de grâce 2011. Rappelons-nous d'abord des grands moments qui placèrent Twitter au centre du débat, justifiant son rôle de «média» le plus influent, puis voyons les lignes plus subtiles qu'il fit bouger.
Twitter a posé ses valises au cœur de tous les grands événements de l'année. L'affaire DSK évidemment. Twitter aura été l'élément de la révélation du scandale en France. Avant tout, il rendit techniquement possible la publication par des journalistes d'informations en direct de la première audience du 16 mai. Twitter fut aussi le média de l'émotion, utilisé par certaines victimes lors de la folle équipée du tueur norvégien. Il permit d'obtenir des éclairages sur les catastrophes plurielles de Fukushima. Le sommet pour le recours à Twitter en tant qu'outil de première information est définitivement le «live», où l'ensemble des propos sont reçus concomitamment à leur émission par la communauté des «followers». La campagne pour la primaire du Parti socialiste fut le «live» le plus fort de 2011.
Twitter présente un autre visage. Il permet également aux femmes et hommes politiques de compléter les outils qui concourent à la construction de leur image.
La face révélée. Nathalie Kosciusko-Morizet (105 000 followers), François Hollande (93 000) et Benoit Hamon (83 000) constituent le trio de tête des femmes et hommes politiques les plus suivis. Pourtant, c'est le ministre supertwittos Eric Besson qui se classe en tête des plus influents personnages de la sphère. Après avoir assumé le rôle d'un ancien socialiste passé dans le camp opposé, et porté au sein du gouvernement le sujet de l'identité nationale, Eric Besson s'est offertt grâce à Twittert une image virginale. Celle d'un homme à la sensibilité délicate, aux messages parfois très glamour. Retourner une image prend habituellement des années. Ceci a été ciselé et rendu possible en quelques mois grâce Twitter. A ce propos, les reproches qui lui ont été adressés ont étonné la plupart. Pourquoi rabrouerait-on le ministre en charge des nouvelles technologies d'oser partager ce qui peut l'être avec sa communauté?
La face cachée. Au XVIe siècle, Henri de Valois arpentait incognito les rues de Venise sans se faire démasquer. En 2011, François Fillon tenta la même dissimulation, mais avec moins de chance, avec @fdebeauce, plus connu désormais sous sa véritable identité car rapidement démasqué par un subtil professeur en informatique. Quel message tentait de faire passer le Premier ministre en succombant ainsi au syndrome Mata Hari? Sans doute de relancer le débat sur l'identité digitale qui opposa, en 2010, le sénateur Jean-Louis Masson, porteur d'une proposition de loi visant à interdire aux Français de bloguer sans révéler leur identité, et vingt-huit députés UMPt auteurs d'un rapport encourageant «l'éthique du numérique».
La face polémique. Nadine Morano, présente depuis novembre 2011 seulement sur Twitter, suscite tous les commentaires. Sa notoriété s'est accrue en quelques mois. Elle a acquis une très forte visibilité, dopée par ses prises de position grand public plus que par les dossiers sur l'apprentissage, qui ne lui ouvrent pas les mêmes attentions. Le Journal du dimanche a publié plusieurs papiers traitant de sa «twittophilie». Madame Morano s'est offert un lifting d'image aux bénéfices incalculables. D'aucuns penseront une mauvaise image. L'électorat de droite, celui dont Nadine Morano tire sa légitimité, vogue peu sur Twitter. Sa stratégie réussie vise avant tout une présence plus forte dans les grands médias.
La face vérité. Twitter ouvre des perspectives fascinantes à une nouvelle technique journalistique, le «fact checking», qui permet de vérifier instantanément la véracité des propos publics. Lors du débat d'entre-deux tours de la prochaine présidentielle, les chaînes pourraient décider d'ouvrir aux Français un fil Twitter. En direct, la moindre imprécision, le moindre oubli serait ajusté. Un fait similaire précipita la fin de carrière de Dan Rather, journaliste présentateur d'une mythique émission sur CBS. Enfin, s'il permet aux membres du gouvernement de se détacher, un temps, du Sésame qui avait jusque-là droit de vie ou de mort sur leur parole, c'est-à-dire les grands médias, lorsque le «fact checking» sera généralisé, Twitter leur portera instantanément la contradiction.
Alors, quel avenir politique nous préparent les réseaux sociaux si le fameux adage «les promesses n'engagent que ceux qui les croient» est mis hors d'état de nuire?