Je viens de vivre une expérience unique. À l'E-G8, j'ai assisté au triomphe politique des «e-brands», les marques Internet. Sur scène, avec Mark Zuckerberg (Facebook), Eric Schmidt (Google), John Donahoe (Ebay/Pay Pal)… ou dans la salle (Linked In, Twitter, etc.), ils étaient tous là, à l'exception d'Apple.
Les e-brands sont devenues tellement puissantes que les huit plus grandes puissances du monde ont besoin de dialoguer avec elles pour gouverner. Puissantes du point de vue économique (entre 20 et 30% de la croissance du PIB sont liés au Web) et du point de vue politique, puisque leur présence ou non sur un territoire est un critère de démocratie, selon Nicolas Sarkozy, et que Barack Obama a déjà fait de Facebook le média clé de sa réélection.
Pour la première fois dans l'histoire des entreprises, une poignée d'entre elles, âgées de cinq à vingt-cinq ans au mieux, sont créditées d'un rôle vital pour la société. De Tunis à San Francisco, qui imagine dorénavant vivre sans elles?
Je n'ai pas de grandes compétences en politique internationale, mais j'ai acquis une petite expérience en marketing. Ce qui est inédit dans cette situation, c'est que ces entreprises, devenues si puissantes si vite, n'ont pas eu le temps de construire l'idéologie de marque qui va avec. Mon hypothèse est que la fragilité de leur image est dès lors inversement proportionnelle à la force de leur présence dans la vie des gens.
Jamais dans l'histoire des marques grand public, une entreprise n'avait dominé le monde – de façon quasi monopolistique en l'occurrence – en ne parlant que de l'usage de ses produits (ici appelés «utilitaires» ou «applications») et en ne disant jamais à quoi croyait sa marque.
Facebook Connect, Itunes, Google Map offrent des usages très pratiques, incroyablement efficaces, mais de quel rêve procèdent-ils? On remarquera au passage qu'aucune des grandes e-brands n'a de signature résumant sa vision.
Si l'on regarde du côté des géants de la mondialisation réussie, on remarque qu'il y a toujours un projet de marque qui accompagne la diffusion du produit ou du service. Coca-Cola a conquis le monde en tant qu'ambassadeur du «Bright Side of America». Louis Vuitton défend une certaine idée de l'élégance du voyage. Ikea ou H&M rendent le design accessible. Danone croit que la nourriture est notre première médecine. McDonald's entend s'impliquer dans les modes de vie locaux. Décathlon veut que chacun puisse avoir accès au sport, que ce soit à Lille, Madrid ou Rio.
À quoi croient ces grands e-monopoles? À «l'Internet libre», disent-ils en chœur, mais au profit de qui? De leurs actionnaires. Cette rhétorique était suffisante quand ces actionnaires étaient des entrepreneurs qui brisaient des conventions, révolutionnaient les usages et inventaient de nouveaux modes de communication entre les gens (parfois sans contrepartie).
Elle devient insuffisante au moment où les actionnaires sont omniprésents dans la vie des gens et où, en toute logique, ils veulent gagner beaucoup d'argent avec leurs services. Au nom du «Think Different», on pouvait accepter la puissance totale d'Apple. Au nom du soutien à son cours de Bourse, c'est un peu court.
Ces géants ont de nombreux tsunamis en vue. Qui va payer pour les réseaux qu'ils utilisent de façon exponentielle? Qui va défendre les créateurs des contenus qui les nourrissent? Qui va vouloir donner toute sa vie privée et sa situation géographique?
Ces questions vont tendre la relation avec ces e-brands, qui étaient des start-up «cools» il y a cinq ans et sont aujourd'hui devenues plus valorisées que Peugeot, Coca-Cola ou Petro China. Le public va leur poser une question simple: quelle belle idée défendez-vous pour que l'on accepte votre domination? C'est une règle qui s'applique à toutes les marques. Il serait surprenant que les e-brands y échappent durablement.