Dominique Strauss-Kahn, désormais feu directeur général du Fonds monétaire international (FMI), est suspecté, entre autres, de tentative de viol et d'agression sexuelle. Peu d'actualités, depuis longtemps, avaient produit autant de bruit médiatique... Outre tout ce qui a été déjà dit, «l'affaire» pose une question essentielle. Quand il sait, un support de presse doit-il publier une information à partir du moment où il n'interfère pas dans une affaire privée mais dévoile ce qui pourrait relever d'une affaire de droit commun ?

 

Par voie de conséquences, des millions d'internautes se sont saisis du sujet et émettent pléthore d'avis qui, au final, produiront une réputation qu'il sera difficile d'endiguer ou d'infléchir. Au-delà de l'actualité et à l'heure du déploiement tous azimuts du Web, le sujet devient donc incontournable pour les médias dits traditionnels.

 

Ces derniers ou leurs experts avaient-ils donc en leur possession des éléments laissant supposer que DSK puisse être suspect de tel ou tel agissement présumé ou avéré? Pour seuls exemples, deux célèbres intellectuels, rompus aux joutes médiatiques, ont laissé parler leur point de vue, assis sur une connaissance a priori solide de DSK.

 

En terre irrationnelle

 

En effet, le premier a parlé de «troussage de domestiques» et «d'imprudence», sur France Culture, tandis que le second est allé, en ligne, encore plus loin sur son bloc-notes. Ce dernier n'hésitant pas, en effet, à qualifier DSK de «séducteur, sûrement; charmeur, ami des femmes et, d'abord, de la sienne, naturellement; mais ce personnage brutal et violent, cet animal sauvage, ce primate, bien évidemment non, c'est absurde».

 

Investir une terre irrationnelle quand la quasi-totalité du dossier demeure indisponible livre, au citoyen, une information encore plus opaque. L'objectif, affiché en tout cas, ayant été de la rendre plus lisible...

 

Par ailleurs, DSK fut, et demeure, un homme respectable quant à son parcours professionnel. Erudit et brillant, entre autres, il occupa les postes parmi ceux les plus exposés en France et à l'international. Et les plus éminents. Une question reste à nouveau en suspens et s'est retrouvée partagée, en ligne, un nombre de fois incalculable: près de trente ans de vie professionnelle en France et pas le moindre bruit? Une impunité solide quand, de l'autre côté de l'Atlantique et après trois ans et demi au FMI, c'est la chute après deux affaires de mœurs étalées au grand jour.

 

Les médias et la justice américains seraient-ils donc moins conciliants que les nôtres?

Quand on sait la radicalité de certains juges hexagonaux et l'intégrité d'une quantité non négligeable de journalistes français, force est de constater que la réponse doit se trouver ailleurs.

 

«Lécher, lâcher, lyncher», c'est risquer la sortie de route

Alors? La France est-elle le pays du secret? Héritière d'une tradition qui pourrait faire prévaloir la réputation de certains avant le droit ou la vérité, entre autres? Les détracteurs de DSK, hors une majorité de ses opposants politiques, s'en donnent à cœur joie, laissant filtrer toutes sortes de rumeurs, informations ou fausses informations le concernant. Ses défenseurs, eux, se rangent derrière la présomption d'innocence et l'attente d'un éventuel procès si aucun arrangement entre les parties n'était trouvé.

 

Tout le monde, initié, est à sa place. Et le lecteur? Le téléspectateur? L'auditeur? L'internaute? Considérés comme «hors champ», il peut alors leur arriver de s'y perdre et, in fine, de prendre la plume pour émettre un avis ou un commentaire sur tel ou tel article ou interview. Avec plus ou moins de verve, de colère ou d'informations fiables et vérifiées.

 

Je n'aurai pas la prétention, ici ou ailleurs, d'édicter ce que les journalistes ou les éditeurs devraient faire. Ce n'est ni l'endroit ni mon métier. Tout au plus une conviction personnelle. En effet, alors que le Web modifie en profondeur les règles de la transparence, de l'immédiateté de l'information et de la réputation des entreprises, des institutions ou des personnalités, les médias traditionnels devraient sans doute appréhender, rapidement, ce que Christophe Deloire évoquait dans Le Monde du 16 mai dernier: «Les médias doivent-ils lever le pied sur les révélations, afin d'éviter un accident électoral, ou au contraire accélérer en plein carrefour? C'est une question essentielle pour la démocratie. Donner un coup de frein serait une faute de conduite, avec le risque de donner le sentiment qu'on protège le “système”. Bien conduire, pour un journaliste, c'est avancer vite sans donner de coups de volant. En tout cas, le dérapage incontrôlé “lécher, lâcher, lyncher” nous fait risquer la sortie de route.»

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