Quelques semaines après le sondage Harris Interactive-Le Parisien du 6 mars plaçant, pour la première fois, Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour de l'élection présidentielle de 2012, une nouvelle enquête confirme une percée, que les 40% de voix en moyenne dans les cantons où le FN était présent au 2e tour des élections cantonales du 27 mars attestent.
Ce nouveau sondage BVA-Absoluce avec Les Echos et France Info, diffusé le 28 mars, révèle que, pour la première fois, plus d'un Français sur deux (52%, contre 42% il y a six mois) estiment que «le Front national devrait être à présent considéré comme un parti comme les autres». Ils sont 74% des sympathisants de droite (+13 points), dont 68% de l'UMP (+14 points) à le penser, contre 31% des sympathisants de gauche (+8 points). Dans les couches plus modestes de la population, 63% (+17 points) sont de cet avis.
Pour Stéphane Rozès, président du cabinet CAP (Conseils, analyses et perspectives), «la banalisation du FN a deux explications, dit-il à Stratégies. La stratégie de Marine Le Pen, qui a abandonné toutes références provocatrices à la Seconde Guerre mondiale pour pointer l'étranger et le musulman au nom de la République et de la laïcité. Et son discours social, qui vise à transformer le parti protestataire de son père en alternative politique.»
Il pointe aussi la stratégie actuelle de Nicolas Sarkozy: «Il y a le délitement de son projet – travail, mérite et pouvoir d'achat – et sa stratégie associant les questions d'immigration et d'insécurité, le débat annoncé sur la laïcité pointant l'islam et la fin du front républicain lors des cantonales».
Dans son sondage du 28 mars, BVA révèle toutefois que «le FN reste très peu crédible sur le plan macro-économique». Le contrôle aux frontières, la suppression du regroupement familial et la préférence nationale sur les aides sociales sont approuvées par 4 Français sur 10. Mais ses propositions sur la sortie de la zone euro et le retour au franc ne recueillent que 17% d'avis favorables, contre 82% de défavorables, et la sortie de l'Union européenne (UE) encore moins: 15% d'avis favorables contre 84% de défavorables.
«Nicolas Sarkozy doit changer son fusil d'épaule et parler d'économie, d'emploi et de pouvoir d'achat aux Français pour limiter le potentiel de Marine Le Pen», estime Gael Sliman, directeur général adjoint de BVA, dans Le Figaro. «Aller sur le terrain économique, c'est prendre en compte les attentes des Français et obliger Marine Le Pen à dévoiler son programme économique, qui n'est pas celui attendu part les Français», ajoute Jean-Daniel Lévy, directeur du département Opinion et corporate d'Harris Interactive.
Stéphane Rozès estime, lui, que «Nicolas Sarkozy ne changera pas de stratégie sur les questions nationales et identitaires, comme le souhaite une partie de l'UMP (Fillon, Juppé ou Baroin), sauf si se profile la menace réelle d'une candidature centriste.»
Parole d'expert
Stéphane Rozès, président du cabinet CAP, enseignant à HEC et Sciences Po
«Etre clair sur la République et la laïcité»
«Pour pointer les contradictions du FN et prendre Marine Le Pen à son propre piège, il faut redire qu'elle ne peut pas se prévaloir de la République et de la laïcité pour viser les français d'origine étrangère et les immigrés, alors même que ce sont ces outils qui ont permis à la France d'intégrer les individus, venus d'ailleurs, dans le creuset de la nation. Encore faut-il être clair avec ces notions. Nicolas Sarkozy ne l'est pas, en mélangeant laïcité et origine chrétienne de la France. Et une partie de la gauche ne l'est pas non plus, par son tropisme multiculturaliste appelant au droit à la différence, alors qu'une grande partie des enfants d'immigrés demandent le droit à la ressemblance.»