La réputation est devenue un mot à la mode et une valeur d'autant plus sûre et précieuse qu'elle est potentiellement incertaine. Elle préoccupe nos dirigeants autant que nos capitaines d'industrie. À tel point que même les États sont aujourd'hui sommés de rendre des comptes sur ce terrain-là. On l'a vu à travers l'impact des notations des agences financières ou l'appréciation de nos relations diplomatiques, pour ne prendre que ces deux points de vue qui trouvent un écho certain dans l'actualité.
On céderait cependant à l'argument quelque peu angélique et paresseux de la transparence en considérant que la réputation sanctionne d'abord un fait avant de sanctionner une stratégie, c'est-à-dire une dynamique et une vision.
Les entreprises et les institutions sont devenues très sensibles à cette notion parce qu'elles sont de plus en plus exposées, et donc jugées, par des observateurs multiples, et qu'Internet est devenu tout à la fois une arme et une caisse de résonance inédites pour ceux qui veulent porter atteinte à la réputation d'une organisation. Ces publics (ou parties prenantes) revêtent des identités diverses: collaborateurs, clients, autorités de régulation et de contrôle du secteur en question, acteurs bancaires et financiers, consommateurs, monde politique et associatif, candidats à l'embauche, prospects, médias spécialisés et généralistes, agences de notation, communauté des investisseurs, etc.
Offensive par l'information
De fait, la protection et la promotion de la réputation d'une organisation s'inscrivent désormais dans une démarche plus large de communication d'influence. L'objectif est de créer un contexte favorable, d'influencer les événements ou les processus et procédures (par exemple la production des normes), ou encore des personnes physiques ou morales susceptibles de relayer et d'amplifier une action ou une idée.
Comprendre ce processus est capital car la communication d'influence peut lentement mais décisivement miner l'image ou la réputation d'un acteur défini comme cible. Ce segment de l'offensive par l'information mérite tout particulièrement l'attention. S'y préparer participe aujourd'hui, pour toute organisation, de la maîtrise du risque image et de réputation.
Certains communicants pressés se sont vite emparés de ce phénomène en simplifiant à l'extrême la donnée: la réputation s'évalue (enquêtes d'opinion, revues de presse, analyses des médias conversationnels, baromètres de confiance, etc.), et elle se répare à l'aune des dommages constatés.
Les situations de «crise» donnent partiellement raison à ce schéma binaire, puisque la priorité, à ce moment précis, est d'abord de mesurer les dégâts et ensuite de rattraper du mieux que l'on peut la situation. Pour autant, il importe de penser en stratège, hors de la crise, la réputation. Pour une entreprise, celle-ci se joue d'abord sur sa compétence, c'est-à-dire sur ses savoir-faire, et sur l'utilité – sociale, économique, culturelle, sanitaire, etc. – des biens et/ou services qu'elle délivre, c'est-à-dire sur le sens et la finalité de son action, et donc aussi sur les valeurs des individus qui l'animent.
Actif immatériel
La révélation d'une erreur ou d'une faute autour de ce noyau dur peut mettre à mal la réputation. Alors, il y a «crise». Mais l'erreur ou la faute qui met à mal la réputation pourra beaucoup plus aisément être justifiée et dépassée si elle est moindre, en valeur, que la légitimité du but visé par l'entreprise et si elle s'inscrit dans ce but. En revanche, elle sera lourdement pénalisante si elle est directement attachée à un objectif illégitime.
C'est donc d'abord sur sa stratégie, ses visions et ses buts, donc sur des paramètres de longue haleine, qu'une entreprise construit sa réputation. Ce constat vaut à l'échelle d'un État. Les citoyens pardonneront à leur pays d'avoir été «borderline» dans une action de lobbying qui vise, par exemple, à lui faire gagner l'organisation de Jeux olympiques si le but est atteint, car ils seront alors enclins à y voir de l'habileté. L'échec, en revanche, le sanctionnera doublement: on reprochera le but manqué et on reprochera la méthode. Là est le cynisme, qui vit au cœur même de la réputation.
La réputation est désormais un actif immatériel de toute organisation. Puisque c'est finalement en partie sur la qualité de celle-ci (ou sa mise à mal, en négatif) qu'elle attirera l'attention de ses pairs, des médias, des citoyens, des bailleurs de fonds, des clients, etc. En somme, la réputation n'est plus une rente, elle est devenue une stratégie, qu'il importe de bien méditer puis d'exécuter avec art.