Mardi 16 novembre, le «repas gastronomique des Français» a fait une entrée remarquée au patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Le choix du comité intergouvernemental de l'Unesco réuni à Nairobi (Kenya) est une première: jamais encore une gastronomie n'avait figuré au patrimoine de l'humanité. Le comité a considéré que la gastronomie française, avec ses rituels et sa présentation, relevait d'une «pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes».
Une chose est sûre, les Français entretiennent une relation particulière à la nourriture. Selon le sondage «Les Français, le plaisir et l'alimentation», réalisé du 9 au 15 novembre par Harris Interactive pour la Fondation Nestlé France, 92% personnes interrogées considèrent que manger est un plaisir. Elles sont 82% à préférer faire un vrai repas que manger sur le pouce (2%), 89% considèrent que «le vrai moment d'échange dans la famille est lorsque celle-ci est réunie autour d'une table» et 78% affirment que c'est «autour de la table que l'on partage les meilleurs moments de la journée».
L'immense majorité considère comme incongru le fait de se consacrer à d'autres activités en mangeant: 96% préfèrent déjeuner ou dîner sans téléphoner, 88% sans consulter sa messagerie ou Internet et 84% sans lire le journal. Exceptions faites de la télévision et de la radio qui sont, il est vrai, des pratiques partagées. Quant à sa durée, un repas familial traditionnel devrait prendre, selon les Français, un peu plus d'une heure et demie en moyenne.
Vision diététique
Les partisans de l'inscription au patrimoine de l'Unesco seront rassurés: nos compatriotes, selon l'enquête, estiment que la qualité de l'alimentation est meilleure en France que dans les autres pays (56%) et souhaitent transmettre cette spécificité à leurs enfants, à travers les bonnes manières (92%), le plaisir de passer du temps à table (79%) et les recettes de cuisine (62%).
Par ailleurs, selon une autre enquête réalisée mi-octobre par l'institut You Gov pour le comparateur de prix européen Kelkoo, 67% des Français estiment qu'il est important ou très important que les produits qu'ils achètent soient fabriqués en France, à commencer par l'alimentation, surtout pour des raisons de qualité (41%).
Des déclarations d'intention louables auxquelles s'ajoute une vision très diététique, selon un autre sondage publié le 2 novembre par l'institut BVA pour La Matinale de Canal+: les trois quarts des Français pensent avoir une alimentation équilibrée, surtout les plus diplômés (83%), les plus aisés (84%) et les plus de 50 ans (87%), contre 46% seulement des jeunes. Ils sont 83% à déclarer consommer plus souvent des légumes et des salades que des pommes de terre (27%), des steak-frites (8%), des pizzas (8%) ou des hamburgers et autres kebabs (8%). Or, et c'est là que le bât blesse, les produits gras et sucrés représentent 40% des aliments les plus consommés en France, surtout par les jeunes et les plus modestes. De là à considérer que le comité de l'Unesco aurait peut-être été plus inspiré d'inscrire le repas gastronomique des Français sur la liste du patrimoine «nécessitant une sauvegarde urgente»…
Parole d'expert
Jean-Daniel Lévy, directeur du département Opinion & Corporate de Harris Interactive
«Cette étude porte sur les représentations, et non sur la réalité. Mais les représentations structurent les comportements. Or, sur le thème du plaisir et de l'alimentation, elles sont très bien ancrées dans l'esprit de tous les Français. On n'observe pas de rupture générationnelle, ni de clivage sociaux. Manger est un plaisir affirmé et davantage considéré comme un moment que comme une action. En pleine interrogation sur ce qu'est la France, le repas à la française est en soi une expression identitaire où l'éducation et la transmission ont toute leur importance. Cette représentation est peut-être idéalisée, mais force est de constater que le modèle français reste la référence.»