C'est un honneur d'écrire quelques mots sur Georges. Pour comprendre cette tristesse, il faut faire l'effort de se replacer au tout début des années 80. Le marketing était quelque chose de proche mais d'inconnu, comme le «digital» il y a douze ans, ou les produits dérivés bancaires il y a douze mois.
Et, dans l'amphithéâtre de Dauphine, un homme costaud, au charisme inouï, entre et vous dit: «Vous êtes dans le seul cours de marketing de France.» Il vous parle des examens, fait silence: «Vous ne copierez pas les uns sur les autres, et savez-vous pourquoi? Parce qu'ici je suis le seul à avoir tué.»
Georges avait fait la guerre d'Algérie. Déjà trois minutes de cours, et des années exceptionnelles à venir, personne ne voulait le rater, ceux d'autres filières, fiscalité ou finance, venaient y assister avec envie.
Pendant que les grandes écoles, avant de se reprendre à la fin des années 80, professaient selon la bible de Philip Kotler, il commençait chaque cours en le lapidant et inventait des grilles de lecture. Le push-pull, le marketing comportemental avec les fonctions des produits au-delà des transactions, la première approche du marketing de la santé et de la pharmacie, et surtout de la distribution.
Il avait le premier reconstitué des linéaires à Rueil-Malmaison, où il filmait les consommateurs en situation d'achat, dans ce qui allait devenir les études in vivo. Il nous transformait en vendeurs ou acheteurs dans des joutes homériques, après nous avoir appris les typologies d'attitudes de ces vendeurs et acheteurs.
Fascination
Georges agrégeait les talents. Il avait créé à Dauphine un groupe de professeurs incroyables. Mes travaux dirigés étaient assurés par exemple par Christian Blanckaert. Des gens si précieux et si occupés venaient trois soirs par semaine nous faire travailler, tant ils pensaient que quelque chose de formidable se créait là.
Nous avons été une génération élevée à la passion, l'envie de défricher, de trouver, il nous apprenait à chercher ailleurs, toujours. Il nous faisait présenter, et la forme avait autant d'importance que le fond.
Ah! Ce cours mémorable où il nous mima les réponses à la question posée par une femme: «Est-ce que ce que tu manges est bon?», et le «rating» des mêmes réponses, avec ou sans le bon ton, jusqu'à la bonne réponse, celui qui n'avait rien dit mais s'était resservi!
Une génération est sortie de Dauphine, se trouvant forte, pensant être porteuse de solutions et apte à s'intégrer et à être productive tout de suite, et avec retenue et humilité, quand je vois le parcours de ceux qui m'ont entouré sur les bancs, cela s'est vérifié.
Je remarque que nous avons presque tous enseigné, pour transmettre, et peut-être inconsciemment, pour nous rapprocher d'un modèle induit, qui nous avait fascinés. Conscient de la médiocrité des marchés, le dernier jour de la promotion, il nous avait dit, théâtral: «Quand le coq aura chanté trois fois, vous m'aurez trahi.» Tout lui. Mais non, personne n'a trahi. Merci Georges.