Ah la rentrée ! Quel bonheur de se replonger dans nos dossiers et ces réunions où nous, communicants, sommes sollicités. On nous consulte sur des choix stratégiques, des évolutions de positionnements et les messages afférents. Impression familière et gratifiante d'être considérés, écoutés, utiles... À la fin d'une journée, ça rend fiers et heureux. On se dit qu'on participe (un peu) au cours des choses.
Mais gare à nous ! Face aux périls collectifs colossaux que rencontre notre humanité, certains de nos instruments intellectuels sont, sans doute, devenus inadaptés. Un exemple ? La promesse unique. Une clé de voute de notre culture de communication. Unique, pour dire autre chose que les concurrents, parce que « si on a le même discours que les autres, alors on ne dit rien ». Dans cette évidence, héritée d'hier, il y a au moins deux postulats qui aujourd'hui vacillent.
Le premier : la concurrence. La sacro-sainte compétition chère à Darwin ... Parlons-en de Darwin. Lui-même énonçait un autre facteur de survie, de sélection naturelle : la coopération. De ses propres mots, « si une tribu compte beaucoup de membres qui sont toujours prêts à s’entraider et à se sacrifier au bien commun, elle doit évidemment l’emporter sur la plupart des autres tribus. Ceci constitue aussi un cas de sélection naturelle. » OK, mais alors c'est quoi, une promesse unique qui veut entraider et non dominer les autres ? Une promesse pas unique ? Une banalité ? Ce qui nous conduit au postulat suivant.
Deuxième postulat, donc : « si on a le même discours, on est foutus ». Traduction : quand un concurrent dit quelque chose de bien, je ne peux plus le dire. Le concept a été « préempté ». Mais si c'était ce que tout le monde devrait dire tellement c'est juste et important ? On préfère dire des choses moins justes, moins importantes ? Alors si jamais le concurrent a dit « je m’engage pour le climat » ou bien « défendons la biodiversité ensemble » ? Tant pis, on va chercher autre chose, regarder ailleurs ? Bien sûr que non. Si un positionnement est soi-disant « préempté » sur ma catégorie, et qu'il est vital pour l'espèce et notre avenir commun, on se positionnera aussi sur le climat et la biodiversité.
Gardons-nous de céder à ce vieux réflexe. Plein de positionnements disent « moins cher », ou « innovant » : avons-nous jamais cessé de conseiller ces positionnements ?
Coopétition
C’est vrai que nous entrons dans un tunnel « climat, biodiversité, écologie, solidarité ». C'est comme ça. N'appliquons pas aux messages engagés la loi d'airain de la promesse unique. Si une marque veut dire une chose cruciale, mais qu'une autre marque l'a déjà dite, retenons nos implacables « trop tard, c'est déjà pris ! ». Au contraire. Essayons la posture « je pense pareil, je dis pareil, et je le revendique à voix haute » (voix haute qui différencie la citation du plagiat). Ça fait peur ? Un mot clé peut nous aider : coopétition. La capacité à faire ensemble entre rivaux (quand on y réfléchit, il y a plein de précédents). Osons davantage la coopétition sur les sujets citoyens, dans la mêlée publicitaire. Dans les plateformes de marques responsables, remplaçons la notion de « concurrents » par celle de « coopétiteurs ». Nous, orfèvres de la singularité, de l'unicité, allons devoir penser l'impensable pour nous : le « moi aussi ».
Et comment faire avec les enjeux d'ego ? C'est vrai, bien sûr que cela compte : notre opinion de nous-mêmes, en tant que tête pensante, éminence grise payée à percer des vérités de marques spécifiques, distinctives, différenciantes. Tant pis pour nos ego. On est dans une période d'évolution profonde. Dans une précédente rubrique, j'ai tiré le tapis sous les pieds de la valeur « courage », exhortation compulsive moderne alors que notre époque a bien plus besoin d’intelligence, de progrès concrets que de bravoures étincelantes.
Ici, je paraphrase laborieusement une vieille gloire : « Je dis comme Darwin ! Pas mieux ! » Me trouverez-vous banal ? Je prends le risque : je n'en mourrai pas.