Affaire Cambridge Analytica, départ de dirigeants, amendes, piratages de comptes… Tous ces événements conduisent à une question centrale : le modèle économique de Facebook et des autres plateformes sociales, essentiellement basées sur l’exploitation des données personnelles à des fins de ciblage publicitaire, doit-t-il évoluer ? Est-ce la fin des réseaux sociaux tels que nous les connaissons ?
Si Facebook trône toujours en haut du classement des réseaux sociaux les plus populaires, les attaques à son encontre ont repris de plus belle en ce début d’année. Tim Cook, CEO d’Apple, demande un durcissement des lois de protection de la vie personnelle aux Etats-Unis, portant le débat au niveau politique. De son côté, la Russie menace le réseau social (et Twitter) de sanction, tandis que l’Allemagne souhaite le contraindre à limiter la collecte et le croisement de données sur des services tiers comme WhatsApp et Instagram.
Une autre épée de Damoclès plane au-dessus de la publicité sociale : celle de la prolifération des adblockers et le rejet des publicités intrusives. Banner blindness, bloqueurs de pub, baisse des taux de clic… Depuis que le règlement européen sur la protection des données - le RGPD - est entré en vigueur, Facebook exerce un contrôle plus rigoureux sur le partage des données avec ses partenaires et clients agences et annonceurs, et a restreint ses critères de ciblage. Instagram limite également ses data disponibles. Ceci a un impact direct sur certains produits publicitaires, y compris les formats natifs jusqu’alors épargnés. Croiser les données des plateformes avec celles de l’annonceur (Facebook Custom Audiences, Pinterest Audiences…) ou encore installer Facebook Pixel, Twitter Pixel ou LinkedIn Insight Tag pour les opérations de retargeting des annonceurs nécessite désormais le consentement préalable des utilisateurs.
Trouver des relais de croissance
Conséquence de tous ces changements, la chasse aux relais de croissance est ouverte. Les géants du web social affichent depuis plusieurs années une volonté de diversification tout azimut. Mais cette tendance s’accélère incontestablement. Intelligence artificielle, IoT, réalité augmentée, smart speakers, e-commerce… Les initiatives ne cessent de se multiplier, à travers des partenariats innovants proposant de nouveaux points de contact aux marques. Malgré les difficultés, les géants du web social deviennent ainsi des «conglomérats tech puissants sur lesquels il est dorénavant quasi impossible de faire l’impasse», selon le livre blanc Kantar, division média, sur les tendances social media 2019. Dépassant largement leur cadre initial, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) font aujourd'hui converger toute une palette de services et de technologies qui intègrent la fonction première du média social : la connexion et l’échange entre les utilisateurs. Les frontières entre les disciplines s’effacent.
Par exemple, pendant qu’Amazon développe Spark, son propre réseau réservé aux utilisateurs payants Prime, Facebook investit d’autres terrains que le réseau social proprement dit avec son smart speaker Porta, tandis qu'Instagram se lance dans l’e-commerce avec IG shopping. Les partenariats se sont multipliés l’année dernière : Snap s’est associé à Twitch d’Amazon, Facebook à l’AFP, Instagram à LaFourchette, YouTube à Eventbrite... D’autres associations pourraient encore voir le jour dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation ou encore le secteur bancaire.
En Chine, le modèle économique des BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) ne s’appuie pas sur la publicité, selon une étude du cabinet Fabernovel consacrée à WeChat. Sur la plateforme chinoise, les publicités sont limitées à une ou deux par jour. «WeChat profite des revenus issus du cloud de sa maison mère Tencent, mais prend surtout une commission sur les paiements réalisés via sa solution WeChatPay, qui devient de plus en plus le canal favori des Chinois pour payer», explique Nicolas Cabanes, analyste du cabinet Fabernovel.
La pub, toujours la pub
Pour autant, en Occident, la publicité représente toujours plus de 90% des revenus des réseaux sociaux, et ce, malgré le développement des autres leviers de croissance. Le modèle publicitaire est pérenne et la santé financière de ses principaux acteurs est au beau fixe. L'essentiel de la croissance de la publicité digitale vient en effet aujourd’hui du display social, segment en hyper-croissance dominé par Facebook. L'une des raisons qui expliquent cette tendance est à chercher dans la baisse de la portée organique. Depuis que les plateformes sociales ont changé leurs algorithmes, les pages des marques sont promises à un reach de plus en plus faible. D’où une augmentation des budgets de social advertising. Par ailleurs, le modèle de walled garden des géants sociaux et leurs univers logués sortent finalement gagnant du RGPD et demain du règlement ePrivacy, là où d’autres médias doivent recueillir leurs données par les cookies.
Malgré tous les problèmes rencontrés, Facebook a par exemple gagné l’année dernière 55,8 milliards de dollars pour un bénéfice net de 22,1 milliards de dollars, une augmentation respective de 37% et 39% par rapport à 2017 ! Snap affiche aussi un chiffre d'affaires en augmentation de 43 % sur l'ensemble de l'année 2018. Pour Evan Spiegel, la rentabilité pourrait être atteinte en 2019, une annonce qui a fait bondir l'action du groupe de plus de 23%. D’un point de vue déontologique, c’est loin d’être aussi positif. Et c’est tout l’objet de la campagne de communication de Mark Zuckerberg ces derniers mois, qui rappelait dans un communiqué de presse la mission première de Facebook : faciliter à travers la publicité l’accès gratuit du plus grand nombre au réseau social, et proposer une offre publicitaire accessible.
Car oui, la publicité sur les réseaux sociaux reste un outil puissant et accessible dans l’arsenal de leviers marketing des marques. Toutefois, l’avenir pourrait bien se trouver du côté des nouveaux formats créatifs, partenariats et autres solutions contextuelles, qui ne sont plus conditionnées par le seul recueil de données personnelles. Le principe, engager l’utilisateur sans l’interrompre, à partir du contexte dans lequel il se trouve. C’est le principe des «lenses» de Pinterest, qui proposent à l’utilisateur des épingles qui sont en rapport avec l’environnement que l’intelligence artificielle a identifié sur sa photo. Ou encore les Shoppable Snap Ads de Snapchat ou Amazon, sorte de Shazam du shopping. Facebook testerait d'ailleurs de nouvelles formes de publicité search sur le modèle de Google Adwords. Autant d’initiatives des plateformes sociales qui démontrent que la publicité sur les réseaux sociaux a encore de beaux jours devant elle.