Mobilis in mobile
La voiture autonome reprend le flambeau de la révolution du quotidien qu'avait fièrement porté le smartphone. Et crée un nouvel écosystème de valeurs.

La création d’un consortium réunissant des acteurs aussi divers que Nvidia, Samsung, Bosch ou Toyota pour financer la recherche en machine learning à l’université Berkeley, le rachat de la start-up Cruise - dont je vous avais parlé il y a quelques mois - par General Motors pour la rondelette somme d’un milliard de dollars, les près de 300 000 pré-commandes - et les acomptes de 1 000 dollars associés - pour le Model 3 de la Tesla qui ne sortira au mieux que fin 2017… Dire qu’on s’était persuadés que la bagnole c’était «so 20th century» et que le gourou milliardaire libertarien Peter Thiel avait fini de nous convaincre que «nous avions rêvé de voiture volante et que nous avions obtenu 140 caractères». Une façon de nous dire que le numérique, c’était gadget. Mais, fidèle lecteur, tu le sais, le futur ne recule jamais et les lendemains numériques chanteront.

Le mois écoulé aura marqué l’inexorable montée en puissance de la voiture autonome: celle-ci troque ses atours de perspective futuriste lointaine contre ceux d’un avenir proche, et passe des blogs geeks aux rubriques «éco» des grands quotidiens. Consommateurs comme entreprises, start-up comme grands groupes, constructeurs comme équipementiers: chacun cherche à prendre sa part dans le bouleversement annoncé de l’automobile. Au fait, ce changement de statut ne vous rappelle rien? Nous vivons en fait la même situation qu’en 2007-2008 avec l’avènement du smartphone - et les points de comparaison ne s’arrêtent pas là!

Premier point commun, voiture autonome et smartphone transforment des produits confirmés et installés, avec des ordres de grandeur finalement similaires, il y avait déjà 3,3 milliards d’abonnés à la téléphonie mobile en 2007 - année de sortie du smartphone - et 1,3 milliard de voitures en circulation en 2014.

Deuxième: la voiture autonome consiste comme le smartphone à donner à la couche logiciel+données la prééminence sur le matériel. Avec une conséquence majeure: donner la possibilité de personnaliser les produits et surtout de les faire évoluer en temps réel, tout au long de la vie des produits. Une mise à jour de la Tesla S a ainsi suffi en octobre 2015 pour en altérer radicalement les fonctionnalités, avec l’arrivée de la fonction «Autopilot».

Virage radical

Troisième analogie, une voiture autonome partage avec son (petit) aîné le goût des capteurs, indispensables pour sonder son environnement. Caméras et GPS se retrouvent chez l’un comme chez l’autre, mais à l’accéléromètre et au gyroscope du smartphone la voiture autonome privilégie les sonars et lasers. De ce niveau micro des capteurs, la voiture autonome fait elle aussi le lien avec l’échelle macro du cloud. Car les données récoltées localement n’ont de sens qu’en les confrontant à des données communes, les cartes détaillées des villes par exemple. Du réseau social des smartphones au réseau véhiculaire des voitures autonomes, le pas est franchi.

Enfin, quarto, l’axe de comparaison le plus intéressant reste évidemment l’amplitude des changements économiques amorcés par la voiture autonome dans sa chaîne de valeur, et la taille du nouvel écosystème ainsi créé. A l’image de la disparition éclair de Nokia ou Motorola et de la création d’un duopole Android-IOS sur les systèmes d’exploitation de smartphones, aspirant la plupart de la valeur pour ne laisser aux fabricants de matériel que de faibles marges, la voiture autonome amorce-t-elle une recomposition radicale du paysage de l’automobile? Google et Apple, avec leurs projets de voiture autonome - encore mystérieux pour le second, il est vrai - garderont-ils l’avantage du mobile et l’intelligence, faisant de GM ou Renault de simples assembleurs? En tout cas, la guerre à l’usage et au temps d’usage en particulier fera rage: non contents que le temps que nous passons sur nos téléphones ait été multiplié par 7 depuis 2010, puisqu’il est interdit de l’utiliser en voiture, les géants du numérique ont décidé de prendre possession de cet espace et du temps disponible qu’il représente.

S’il est encore trop tôt dans l’histoire de la voiture autonome pour oser un pronostic, la tectonique des plaques est déjà bien enclenchée. La stabilité qu’a connue l’industrie automobile dans la seconde moitié du XXe siècle, avec l’absence de l’émergence de nouveaux acteurs majeurs et innovants, touche à sa fin. En 2010, Tesla est devenu le premier constructeur automobile américain à s’être introduit en bourse depuis 1956. Et l’avenir de la voiture étant à l’électrique, un dernier point commun (5) dont on se serait bien passé: l’autonomie - énergétique cette fois-ci - risque comme pour nos téléphones d’être le seul facteur limitant. La lutte sans merci pour les points de recharge a de beaux jours devant elle.

Bref, vous vouliez des voitures volantes, vous aurez des écrans roulants. Et 140 caractères. C’est pas si mal.

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